La Rébellion est un conte désenchanté, à la fois sobre et percutant. Court – à peine 160 pages – il condense l’existence d’un homme ordinaire, animé d’une foi inébranlable en l’ordre établi. Fidèle à l’autorité, à la religion, persuadé que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes », il traverse la vie avec la certitude rassurante que chaque chose est à sa place. Même la guerre, qui lui coûte une jambe, ne suffit pas à entamer sa confiance dans la justesse du monde : une médaille militaire et une licence de joueur d’orgue de Barbarie lui paraissent être la juste rétribution de son sacrifice.
Loyal jusqu’à la rigidité, il méprise profondément les « païens », les anarchistes, les esprits frondeurs qui osent contester l’ordre en place. À ses yeux, ces ingrats ne comprennent rien à la beauté d’un monde bien réglé. Sa vie s’écoule ainsi, paisible et satisfaite, entre obéissance, modestie et gratitude. Il est bon, humble, confiant – et ne demande rien de plus que de tenir son rang avec dignité.
Mais un grain de sable vient enrayer la mécanique bien huilée. Une injustice – une seule, puis une autre, et d’autres encore, fait vaciller ses certitudes. L’univers cohérent dans lequel il vivait se fissure, puis s’écroule. De croyant fervent en l’ordre et en la justice, il devient méfiant, amer, brisé. La société qu’il avait servie sans faillir se retourne contre lui ; Dieu lui-même semble l’avoir abandonné. Rejeté, appauvri, seul, il termine son existence dans le dénuement et la colère.
Sous ses airs de fable simple, La Rébellion propose une réflexion allégorique puissante sur les rapports entre l’individu et la société – une société qui récompense les puissants et broie les faibles. Le texte interroge aussi la nature du bonheur : peut-on être heureux sans une bonne part de naïveté et d’aveuglement ? Un récit aussi limpide que cruel, où la docilité devient tragique, et la lucidité, fatale.