La Route
7.5
La Route

livre de Cormac McCarthy (2006)

Agréablement surpris, et dans le bon sens du terme. Voilà comment je pourrais désigner ce livre.
Car en plus de vous offrir une aventure aussi glauque que palpitante, il constitue d'emblée (et pour ceux qui ne le sauraient pas encore) une petite prouesse littéraire, puisqu'il s'affranchit de toute ponctuation n'étant pas franchement nécessaire.
On ne passe donc pas loin du texte latin, à ceci près que vous trouverez quand même des points en fin de phrase et aucunes déclinaisons. (Ouf)


Au départ, j'ai donc savouré ce style soigneusement différent et pour le moins inattendu. Heureux d'être poussé dans mes retranchements de lecteur. Mais cette absence de ponctuation se juxtapose aussi à une prose rugueuse, pour ne pas dire abrasive, et vous met donc de fait devant une redondance de conjonctions de coordinations qui effraierait même un lecteur Anglophone rompu à la lecture de Shakespeare dans le texte. (God Shave Ze Couine)


Et pourtant...


Ce style prend vite une saveur inattendue, fraîche comme un coup de pied au cul un soir de soirée arrosée et prend même tout son sens à mesure que passent les lignes, puis les pages, jusqu'à la fin que l'on devine en filigrane.
Car tout le livre est en fait une réflexion archi-travaillée sur l'essence du cheminement.
Un cheminement physique sur cette route aux allures de purgatoire, tout d'abord. Point de mire tangible et infini, elle est à prendre au sens propre si vous êtes lecteur (le plus courant) et si vous êtes l'un des deux personnages principaux du récit; bien profond et sans modération. (Plus rare quand même)
Il s'agit donc de prime abord d'une nécessaire marque de repère dans le récit mais également d'un repère hautement symbolique, puisqu'un des rares témoignages de notre civilisation encore à peu près en état et qui se disloque doucement. Mais pas seulement.
En effet, il s'agit surtout d'un cheminement intellectuel avec plusieurs niveaux de lectures, aux délicates senteurs de folkloriques interprétations Bouddhistes, mais douloureux comme la délicate attention d'une baramine encastrée sur le coin de la gueule un soir d'agression.
L'évidence est donc bien sur d'y voir un parcours à faire sur l'acceptation d'une mort certaine, avec un combat moral douloureux à faire pour le héros.
Doit-il arrêter au plus tôt le cynisme de cette existence miséreuse, doit-il protéger l'innocence du petit coûte que coûte ?
La symbolique de pureté de l'enfant prend quelques tournants bibliques au passages, et d'autres symboles divins se voient facilement au passage.


Mais derrière l'aspect franchement galvaudé de ce que je vous raconte, il y a pourtant une incroyable finesse d'écriture, où chaque mot quoi que d'aspect rugueux est d'abord lourd de sens.
Un sens poli par un soin qu'on sent extrême, et qui vous invite toujours aux pérégrinations intérieures après coup.

C'est là toute la maîtrise de ce récit et j'adore ça. Car en plus de poser une série d'interrogations métaphysiques sur le rôle de l'existence, Cormac McCarty sors aussi des sentiers battus.
Il évite les lieux communs de ce genre de récits avec ce style tout en retenue et incroyablement adapté à la psychologie de personnages usés même jusqu'à la trame de leurs réflexions.
Tout est presque dans le non dit, et chaque ellipse trouve son sens. La mise en place des chapitre est un délice, avec un rythme toujours différent malgré une ambiance de plus en plus pesante. L'histoire n'est jamais plombée ni par un manque de rythme ni par une redondance des évènements du quotidien. Même les phases de ces bribes de dialogues sont intéressantes en soi.
La classe.
Pour être franc, je n'avais pas retrouvé cette recherche presque névrotique de l'essentiel depuis le magistral "La Tombe des Lucioles" de Nosaka Akiyuki. J'avais souvent relu certains passages de peur d'avoir bien compris, car il s'agit d'une auto-biographie à peine déguisée. (Et absolument bouleversante)


Mais on peut aussi y voir des interprétations plus fines, comme une longue succession d'épreuves aux forts airs de purgatoire. (en tout cas il s'agit de mon interprétation)
La route servant donc de repère symbolique vers une expiation des péchés jusqu'à une hypothétique délivrance et restant jalonnée de rencontres aussi variées que choquantes, à l'instar de ces hommes devenus cannibales.
Un marqueur symbolique qui nous pousse donc à réfléchir sur votre limite de l'acceptable, mais sans jamais tomber dans les lieux communs, d'où la force de ce Roman d'anticipation encore une fois.
Car l'auteur ne cherche pas vraiment à justifier une théorie boiteuse. Il plante juste le décors de manière simple et efficace. Sans excès ni lacune.
L'univers est terriblement crédible, car l'aspect laconique de la description de la catastrophe la rend précisément terriblement "potentielle":
La cendre a envahi l'air, les océans. Tous les insectes, toutes les plantes ont disparues, tout comme les animaux domestiques...
Un avenir radieux en somme.


La fin du livre prend donc tout son sens, au propre comme au figuré.
Elle vous offre sur un plateau la raison de ce style si laconique. Elle devient LA délivrance, toute auréolée de symbolique; belle comme une trame savamment distillée qui vous explose le ciboulot au dernier mot de la dernière phrase.
Un livre que je vous recommande donc chaudement, pour son style autant que pour son contenu.

amjj88
9
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Créée

le 16 août 2015

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2 j'aime

amjj88

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