À l’image de l’Hiver, à l’image de la Nuit

J'ai traité dans le cadre d'une critique du premier roman de Jean-Philippe Jaworski, caractéristique de la medieval fantasy à la "Game of Thrones", sur fond d'intrigues et de complots politiques dans une république italienne fantasmée.
Il est désormais temps d'aborder une autre déclinaison de la fantasy, dans un style radicalement différent, proposition faite par une autrice malheureusement assez peu connue malgré les qualités littéraires inhérentes à l'ensemble de son œuvre. Je veux bien sûr parler de Léa Silhol et de son roman "La sève et le givre".


Parmi les écrivaines de talent, nous aurions pu tout aussi bien nous attarder sur Justine Niogret et son côté brut de décoffrage avec "Chien du heaume" et "Mordre le bouclier", deux récits à mille lieux de l'exotisme médiéval et centrés sur le parcours d'une héroïne fort éloignée des critères de beauté et de bienséance généralement imposés aux personnages féminins.
L'œuvre de Léa Silhol a toutefois l'avantage d'offrir une approche très différente de celle proposée par les auteurs désireux d'ancrer leur histoire dans un contexte relativement réaliste en vue d'accroître la crédibilité des univers qu'ils déploient.


Nous sommes ici bien plus proche des récits mythiques et de la tradition du conte, avec une atmosphère pour le moins éthérée. Narration et poésie en prose se côtoient allègrement.
Il se peut que certains aient quelques difficultés à se laisser emporter par ce récit hybridant la mythologie grecque avec le folklore féerique écossais et l'imaginaire celtique, mais force est de reconnaître que l'ensemble atteste d'une grande maîtrise du sujet et d'une réinterprétation très personnelle de ces figures légendaires.


Il ne faudrait par ailleurs surtout pas négliger les qualités qui découlent d'une écriture sophistiquée, caractérisée avant tout par l'équilibre et la justesse, sans fioriture inutile.
Malgré des formulations parfois alambiquées et une préciosité que d'aucuns chercheraient à fuir, il s'en dégage une beauté glacée et un charme romantique empreint de lyrisme.


L'amour tragique imprègne le récit et nous renvoie aux dilemmes d'un "Roméo et Juliette" sans pour autant sombrer dans le cliché ou céder aux sirènes de la facilité.
Ajoutons à cela l'absence de manichéisme, voire l'inhumanité des êtres ici décrits, qui exercent sur nous un réel pouvoir de fascination. Malgré leur nature insaisissable compte tenu de leurs attaches au monde de la féérie, l'écrivaine est parfaitement parvenue à capturer leur essence évanescente.


L'histoire commence ainsi : selon les Parques, Finstern, Roi de la Cour unseelie de Dorcha et neuvième monarque d'Ombre, doit mourir. Mais tout peut encore changer avec la venue d'Angharad, fruit de l'union interdite du printemps et de l'hiver, de la sève et du givre.
Au confluent de l'élan et la mort, elle seule peut contrecarrer le destin de Finstern. La Reine Blanche devra cependant trouver sa voie à travers les affrontements entre les fées d'Ombre et de Lumière, entre les Fatalités et les anciens dieux.


"La sève et le givre" est sans conteste un roman de qualité. Léa Silhol manie la langue avec subtilité et nous plonge dans un univers qui lui est propre. Ce roman est imprégné d'une lutte constante entre des forces contraires, à l'instar du gel s'insinuant dans les végétaux, jusqu'à dévorer leur force vitale.
Néanmoins, à l'instar du givre qui s'est répandu sur les fleurs et les feuilles, comme pour mieux les plonger dans l'éternité, l'œuvre nous invite à la contemplation d'une inaltérable beauté magnifiée par la poésie en prose de Léa Silhol. Rarement l'ambiance intrinsèque aux nocturnes hivernales aura été si bien retranscrite.


C'est pourquoi je me dois de vous conseiller la lecture de ce livre.
Et si ce dernier vous a plu, n'hésitez pas à vous pencher sur les autres productions littéraires de l'autrice, à commencer par "Les Contes de la Tisseuse".

Wheatley
8
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le 19 déc. 2020

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