Abu Tayyib (915-965), fils d'un porteur d'eau de Koufa (Irak), est surnommé Al-Mutanabbi "le prétendu prophète". Il fait croire à des tribus bédouines d'Irak et de Syrie qu'il est prophète, descendant d'Ali. Les tribus se soulèvent contre le pouvoir et Al-Mutanabbi est jeté en prison. Il a dix-huit ans. L'empire abbasside s'est décomposé et les Arabes sont souvent dirigés par des Persans ou des Turcs. Libéré deux ans plus tard, notre prophète erre une douzaine d'années à la recherche de l'homme providentiel, aux vertus chevaleresques, qui rendra aux Arabes leur grandeur. Son choix se fixe sur Seif ed-Dawla, prince d'Alep. A sa cour, il devient un poète reconnu. Peu à peu, l'indispensable favori polarise la rancœur des envieux...


Ses poèmes révèlent son caractère, où l'orgueil et l'ambition le disputent au courage : "Les hommes sont à la dimension de leurs actes.
Aux yeux des petits, les petites choses sont immenses :
pour les grandes âmes, les grandes choses sont petites !
"
"Jusqu'à quand supporteras-tu ce dénuement, jusqu'à quand traîneras-tu ta misère ?
Plutôt mourir sous les sabres que vivre dans une indigne bassesse !
Jette-toi confiant en Dieu, dans la bataille, comme un guerrier glorieux
pour qui la mort au combat a la douceur du miel
."


Ses rêves de grandeur et de gloire éclatent, et son horreur de la bassesse et des envieux : "J'en veux à ce Temps pour les hommes petits qu'il engendre.
Le plus savant d'entre eux n'est qu'un imbécile, le plus ferme, un sot.
"
"Nous vivons une époque où, pour la plupart des gens, faire
le bien est simplement ne pas faire le mal !
"
"Pour les gens vils, la richesse est pire que la pauvreté !
Ils sont possédés par leur argent plus qu'ils ne le possèdent eux-mêmes.
La blessure se cicatrise, mais le déshonneur demeure.
"


En théorie, tout va pour le mieux. Couvert de panégyriques, le souverain mécène gagne prestige et gloire. Le poète bénéficie d'une splendide situation sociale et de biens matériels inespérés. Mais l'arrogance d'Al-Mutanabbi, son manque de diplomatie et sa franchise envers le prince ruine sa magnifique position. Il s'illusionnait en comptant sur l'amitié indéfectible de Seif ed-Dawla :
"Quand j'ai voulu du vin rouge et pur, j'en ai trouvé, / mais d'ami véritable, point !"
"La part d'amitié que l'on récolte ici-bas est aussi illusoire
que celle des rêves que l'on fait en dormant.
" Hélas, le prince d'Alep n'est pas le sauveur des Arabes. "Je perds mon temps et ma vie avec ces gens. Ah ! que n'ai-je vécu parmi une nation ancienne où l'on estimait l'homme à sa juste valeur !" Au bout de huit ans, Al-Mutanabbi s'enfuit en Égypte où son souverain Kafûr l'accueille à bras ouverts à Fostat (l'ancien Caire).


Chez cet eunuque nubien, l'expérience est plus courte, plus douloureuse. En échange de ses éloges poétiques, Al-Mutanabbi réclame un fief, mais Kafûr le berce de fausses promesses. Quand leurs relations se dégradent, il lui interdit de le quitter. Le prisonnier s'enfuit et se venge par d'impitoyables satires :
"Ceux que tu gouvernes sont passés maîtres en tyrannie,
mais d'avoir à leur tête un chien les rabaisse
"
"Les Arabes peuvent-ils être grands si des rois barbares les conduisent ?
Où que j'aille, je ne vois que nations menées, comme des moutons, par un esclave
!"
"Comment de vils esclaves peuvent-ils être / les seigneurs et maîtres des musulmans ?
Personne n'aura donc le courage de lui trancher la tête d'un coup de sabre ?
"


Al-Mutanabbi se prend réellement pour un prophète thaumaturge :
"Si grande est ma poésie que les aveugles en voient la lumière. Mon verbe est si puissant que les sourds peuvent l'entendre !"
"A ma poésie l'imbécile est allergique, comme le cafard l'est au parfum des roses !"
Panégyrique, autopanégyrique, satire... Le poète pratique aussi la poésie amoureuse. Mais c'est un thème secondaire : "Je n'accorde à la femme qu'un instant de ma vie puis un désert nous sépare, sans retour." (...) "Les femmes, pour des gens de ma trempe, ne sont qu'un jeu futile."


En revanche, il excelle dans l'oraison funèbre, associant panégyrique et thrène, qui permet d'exprimer sa douleur. Ainsi se dévoile sa vision de la vie et de la mort :
"Nous nous mettons en terre les uns les autres, les derniers
marchant sur les têtes des premiers,
Que de paupières que l'on baisait avec affection et déférence sont,
aujourd'hui sous la terre, fardées de sable et de poussière.
"


Al-Mutanabbi manie le Sabre et la Plume en expert. Les puissants recherchent les éloges de son Verbe poétique, mais redoutent ses intrigues et ses satires. Cet aventurier se fâche infailliblement avec ses mécènes. Sans cesse il doit fuir pour survivre. Après avoir brillé auprès d'autres souverains à Bagdad, Ispahan ou Chiraz, il rentre à Koufa chargé de richesses. Il a cinquante ans. Mais il est massacré avec son escorte de six hommes par soixante dix guerriers. Le poète avait férocement insulté leur clan...
"Je blâme ceux qui m'envient mais je dois reconnaître que pour eux,
je suis un vrai châtiment !
"

lionelbonhouvrier
9

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le 13 mars 2021

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