Récemment, je parcourais les Zola dans ma librairie pour me fournir avant le confinement, et suis tombé sur cette phrase d’Anatole France, mise en évidence sur la quatrième de couverture de La Terre : « Les Géorgiques de la crapule ». Il n’en fallu pas plus pour que, quelques semaines plus tard, j’arrive au terme de cette œuvre qui tient finalement plus de l’épopée que du roman didactique.
D'abord, je dois dire que je me suis senti dès la première page en prise avec ce roman en voyant que l’intrigue se déroulait dans la Beauce. Quand j’étais enfant, mes parents me plaçait avec mon frère chez mon papi dans la région voisine, en Sologne, durant les vacances d’été, pour souffler un peu et se retrouver. Nous y restions quelques semaines, là, dans ces terres plates, découpées par des liserés de peupliers, dont les ombres oblongues en forme de silex étaient les seuls parterres où l’herbe n’était pas cuite et où il faisait à peu près frais. Bref, je sais que les paysages ont évolué depuis 150 ans, mais la Beauce, elle, doit toujours être aussi plate et blondie par les blés.
Et pourtant, que La Terre a du relief et de la profondeur. Zola fut conseillé de se rendre chez le médecin pour soigner ses vices par ses contemporains après la parution de l’oeuvre en question.
J’invite cependant tous ceux qui me liront à s’emparer de ce livre.
En effet, nous sommes loin d’un tableau des campagnes comme l’Angélus de Millet. Là où les récoltes sont massacrées par la grêle et les terres saignées par les siècles de labour, là où on vend son grain à perte pour n’avoir que du pain rassie dans son assiette, on comprend qu’il n’y ait plus grande foi en Dieu. Ici, ce que l'on, on le prit, qu’importe qu’on l’ait volé au père, extorqué à la sœur ou même obtenu en posant une lame sous le cou de son frère.
Qu’on se figure des hommes devenus Caïn pour une motte de terre.
Il faut accumuler les champs, agrandir sa ferme, ses rendements, produire plus pour avoir quelques pièces en trop au terme des récoltes. Deux sous en plus pour boire son soûl, pour son tabac. Voilà les seuls plaisirs avec la fornication, que s’autorise le paysan, le but d’une vie étant de posséder la terre.
Ce qui est particulièrement étonnant, c’est que jamais je ne me suis arrêté de lire, ou ai été dégouté par les forfaits et les vices abominables qui constituent le roman. Je dis bien ‘constituer’, car il me semble que la trame autour de l’héritage n’est qu’un prétexte pour mettre en avant les travaux de la terre et la vie malsaine des paysans. Derrière La Terre, je pense que chacun peut voir la silhouette darwinienne de L’origine des espèce : l’homme y est un animal, en proie à ses pulsions, qui viole en même temps qu’il sème son champs, qui lutte pour son pain et ses avoirs, bref, pour sa survie. On est saisit par la violence du livre, par la déconsidération de la dignité humaine. Le monde y est fangeux et on se crotte un peu plus à chaque page que l’on tourne ; toujours avec l’impression désagréable qu’on est excité par les plus infâmes des sordidités.
Pour finir, je tiens aussi a mettre en avant la poésie développée autour de la Beauce, de ses champs dont la peinture est une ode à la vie, à la fécondité, à ce qui vient après avoir semé. D’ailleurs, Péguy a quelques années après Zola dépeint la beauté de cette région par les mots suivants qui, j’espère, attirera La terre entre vos mains :
Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape
Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres