Faust thématise le passage entre une société médiévale marquée par la présence du surnaturel (dieu et le diable) à une société renaissante, toujours à l'écoute du surnaturel mais qui subit un bouleversement symbolique : les découvertes de la science recentrent la foi sur l'individu et la science élève l'homme aux dimensions de l'univers. La science avait enseigné à l'homme qu'il était, plus qu'une créature, un créateur, et qu'il lui suffirait de déchiffrer le Grand Livre de la Nature pour pouvoir élever des mondes nouveaux, alors que la religion proposait l'image d'un monde créé pour l'homme.
La liberté humaine augmente à mesure que la science progresse, la tentation diabolique se manifeste comme désir d'action, et Faust veut devenir seigneur et maître de tous les éléments. Il n'hésite pas à appeler le démon. Faust est parvenu à un doute complet, exception faite du mal, qui selon lui s'évanouit avec la mort physique. Faust est cet esprit étonné de voir que, dans notre monde, la présence du mal semble plus réelle que celle de Dieu ; c'est donc vers le mal, unique certitude, que Faust se tourne afin d'éteindre les doutes qui le consument. C'est donc en homme libre qu'il se damne. Marlowe justifie le pacte de Faust à partir du doute lui-même, lequel marque la domination de l'esprit sur toute chose et son autonomie absolue à l'égard de tout pouvoir : "Je crois plutôt que l'Enfer est une fable."
Aussitôt que Faust vit Méphisophélès, il le pressa de questions sur l'Enfer, puis sur l'univers, les planètes et les astres : preuve que ses connaissances sur le monde n'ont pu éveiller en lui que des doutes auxquels il fallait désormais répondre. En cela Faust de Marlowe se distingue de celui de Goethe : chez Marlowe Faust se damne pour apaiser ses doutes ; celui de Goethe pactise pour secouer son ennui. Le premier est encore jeune et insatiable de connaissances ; le second est blasé et vanné par l'étude, recru de cette fatigue qui vient des grands savoirs. Ces différences fondamentales vient que, chez Marlowe, Faust est un homme de la Renaissance, tenté comme tel par Lucifer, un homme qui veut être un dieu et qui croit y parvenir en s'affranchissant des doutes. En fait, sitôt que le Faust de Marlowe n'a plus de doute ni sur l'existence de l'Enfer, non plus que sur celle de sa damnation, il devient un personnage tragique car il prend conscience de l'incapacité de l'homme à dominer son destin, et comprend la tristesse qui enveloppe la condition humaine : "Que peut mon âme contre les rets de la mort ?"
La pièce s'ouvre sur une lamentation de Faust qui a réussi à comprendre et intégrer tout ce qu'il est possible d'apprendre, dans toutes les sciences connues. Assoiffé de savoir, il se tourne vers les sciences occultes et invoque le diable. Une figure diabolique apparait, se présentant sous le nom de Méphistophélès. Celui-ci explique que Lucifer l'envoie trouver tous les blasphémateurs car ce sont de potentielles âmes qui pourraient s'offrir à lui. Faust conclut donc un marché avec l'envoyé de l'Enfer : en échange de son âme et son corps, Méphistophélès sera à son service pendant 24 ans. Passé ce délai, Lucifer viendra chercher l'âme de Faust pour l'emmener dans son royaume. Pleinement conscient de ce qui l'attend, Faust scelle le pacte et obtient les services de Méphistophélès. Pour autant, Faust ne s'en sert que pour des actes futiles. C'est en effet parce que son âme, désormais liée à Lucifer, n'est plus capable d'élaborer des projets aussi magnifiques que ce qu'il voulait avant qu'il ne la vende : c'est la dégradation de l'homme et la désintégration de l'âme.

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le 6 oct. 2017

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