Michel Foucault a toujours eu le sens du spectacle, comme le prouvent ses thèmes décalés (le sexe, la folie, la prison) souvent considérés comme indignes d'une analyse philosophique, ses ouvertures magistrales (les longues pages de torture dans Surveiller et Punir) et ses titres aguicheurs ("Histoire de la sexualité", "Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère ma sœur et mon frère"). Rappelons toutefois que Foucault, par sa volonté de choquer et d'attirer par la même occasion des lecteurs, n'a pas donné un titre approprié à cette recherche. Par "Histoire de la sexualité", Foucault devrait dire "Evolution antéchronologique du rapport de l'être humain à la sexualité en Occident". Ceux qui s'attendaient à des images vulgaires et à des anecdotes sexuelles juteuses afin de briller en société seront déçus. A cette omission s'ajoute la critique elle-même redoutée par le philosophe: celle d'avoir retracé l'histoire de la sexualité sans parler de sexe. Choix étrange et discutable que de vouloir écrire quelque centaines de pages sur le sexe sans écrire une seule fois les mots "pénis" et "vagin". A croire qu'une fois analysée, la pratique sexuelle se dissout dans le théorique et n'est pas digne d'être mentionnée. Cette décision étrange est d'autant plus surprenante que j'ai longtemps soupçonné Foucault de s'être délecté de décrire minutieusement les tortures infligées au Moyen Âge. J'attendais de lui un plaisir similaire à raconter les pratiques sexuelles d'une époque révolue:

'Le projet initial de cette série d'étude n'était pas de reconstituer l'historique des conduites et des pratiques sexuelles, ni d'analyser (scientifiques, religieuses ou philosophiques) à travers lesquelles on s'est représenté ces comportements; c'était de comprendre comment, dans les sociétés occidentales modernes, s'était constitué quelque chose comme une "expérience" de la "sexualité" '. (- avant propos)

Double mensonge, donc. Ou "omission".

Cette critique - moins un reproche qu'un véritable étonnement- n'est toutefois que secondaire et l'appréciation générale de l'étude est positive. Certes, Foucault ne suit quasiment jamais son sommaire, s'égare beaucoup trop longtemps (des pages entières sans parler de sexe ou de sexualité qui rebrassent ses propos dans Surveiller et Punir) et ne rend pas ses idées toujours accessibles (l'épistémè et les dispositifs, deux notions essentielles à sa pensées qu'il utilise sans les définir dans le premier volume) mais la lecture demeure plaisante. Foucault ne cite quasiment rien et personne, s'affranchit des préjugés et aime remettre en question des idées préconçues en y apportant de la nuance. J'attends l'arrivée de ses deux autres tomes pour apprécier pleinement ses théories et son écriture.
Lear_Yorick
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le 25 oct. 2014

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