Rome, après guerre.


Lucrezia Sanziani est une vieille femme ruinée qui vit dans un hôtel défraîchi, dans le souvenir de ses gloires et bonheurs passés, voletant entre les dentelles noires de sa robe. Ancienne courtisane de grand renom, elle oscille aujourd'hui entre l'apathie derrière son éventail et le récit habité (délirant ?) de ses amours d'antan, prenant à témoin et pour complice toute personne autour d'elle.


Le livre s'ouvre sur une scène chez le notaire : la Sanziani est venue pour répartir son immense héritage parmi ses amis. Un véritable inventaire à la Prévert majestueux où le lecteur se prend à rêver à son destin plein de faste et d'opulence. Mais bien vite, on comprend que la vieille femme n'a plus vraiment toute sa tête et que sous son crâne, se déroule un théâtre passé rejouant certaines scènes marquantes. Il n'est en effet pas rare de la voir demander des nouvelles de défunts, l'entendre appeler son chien mort depuis des lustres.. Lucrezia vit dans un monde d'ombres et de fantômes.


A son service à l'hôtel, une jolie petite jeune fille timide et dévouée qui se prend d'une grande tendresse pour la vieille femme, engloutit ses histoires qui la font rêver, se glisse dans les rôles qu'elle lui fait endosser avec une émerveillement constant. La jeune Carmela s'occupe également de plusieurs autres chambres, dont l'une est occupée par un écrivain scénariste dont elle s'éprend et qui va bientôt dévier le cours de sa destinée.


J'ai adoré ce livre, le premier de Maurice Druon que je lis, car il aborde des questions d'une grande profondeur, comme la mémoire, la folie (le fameux "charme de la démence" cher à Deleuze), le pouvoir des femmes sur les hommes (et vice versa!), la puissance de la sensualité, les vestiges des souvenirs du corps, la douleur des instants éteints mais aussi leur grandeur et leur valeur...


Le (magnifique) titre m'a d'abord interpellée, et c'est bien "la volupté d'être" que va enseigner Lucrezia à Carmela en lui ouvrant la porte à des mondes inconnus. En cela, leur relation est initiatique. Elle est la première femme à lui faire comprendre et accepter sa beauté et le potentiel de cette dernière sur les hommes... C'est un poignant portrait de femme que trace Maurice Druon.
Un livre que j'ai trouvé diablement beau et hautement féministe, drôle aussi, d'un esprit plein de raffinement et d'élégance, au style enchanteur, qui m'a fait penser à la grâce d'un André Maurois.


Un roman qui exprime l'éblouissement durable des sentiments et des émotions sur le cœur et l'esprit humains, mais un texte qui réserve aussi de savoureux instants de théâtre entre la Sanziani et ses interlocuteurs interloqués puis charmés...


Celle qui lancera à son dernier souffle :
"Comment ? C'est déjà fini, la vie ?"
nous murmure de profiter de chaque instant car "vita brevis est", car la vie humaine ne dure qu'un claquement de doigts... (une phrase qui m'a rappelé la chanson "Le temps qui reste" de Serge Reggiani)


Maurice Druon qui expliquait son projet avec ce roman en ces mots dans la préface :



Les femmes, aujourd'hui, qui ont cette nature de courtisane et qui, en fait, tiennent, vaille que vaille, la fonction de courtisanes parmi nous, sont souvent ces instables permanentes, ces insatisfaites perpétuelles, qui divorcent six fois ou ne se marient jamais, haïssent un époux auquel elles jugent indigne de demeurer fidèles, torturent des amants qui ne leur appartiennent jamais assez, envient sans cesse d'acquérir une apparence de stabilité bourgeoise à laquelle elles ne peuvent s'adapter mais sans laquelle non plus elles ne peuvent rien être, s'essaient en vingt activités diverses, sèment sur leurs pas la discorde et le drame, et ayant, comme on dit, "tout pour être heureuses", ne le sont jamais, faute de posséder dans la société la situation qui leur revient et de pouvoir remplir, sans que s'y attaché l'opprobre, leur destination véritable.
Pourtant les plus attachantes des femmes se trouvent parmi celles-là.



C'est donc de réhabilitation qu'il est question, de rendre justice à ces femmes au cœur et corps libres, maîtrisant à la perfection les codes sensuels et amoureux, et dont certaines changèrent la face du monde :



Après s'être mesurée à tant de partenaires illustres, voici qu'elle en avait un qui les dépassait tous : l'Histoire. Elle se sentait désignée pour inspirer ceux qui décident des batailles et conduisent les armées. Elle vouait ses nuits aux combattants glorieux ou aux hommes d'Etat, et accordait son corps comme on décerne une décoration."



Dieu que les boîtes à livres sont miraculeuses ! Que de coups de foudre elles occasionnent !

BrunePlatine
10
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Présentement sur mes étagères et Eblouissements littéraires [2021]

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le 29 juil. 2021

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