La sortie du nouveau roman de Laszlo Krasznahorkai, une nouvelle fois superbement traduit par Joelle Dufeuilly, était attendue de pied ferme par les fidèles lecteurs de l’écrivain hongrois et, après avoir été plusieurs fois repoussée ces derniers mois, c’est peu dire que son attente en valait la peine. 

On y retrouve le style si particulier de Krasznahorkai, ces longues phrases qui semblent ne jamais finir et nous font retenir notre souffle de virgule en virgule, ici séparées en paragraphes, chacun centré sur un des nombreux protagonistes du roman. Force est d’admirer la virtuosité de Krasznahorkai de ne jamais nous perdre et de nous resituer en quelques mots à chaque début de paragraphe. 

La quatrième de couverture cite l’auteur déclarant que ce roman peut être vu comme le seul et unique roman qu’il n’ait jamais écrit, façon de dire qu’il contient tous les thèmes qui hantent également toutes ses œuvres passées. Il serait intéressant mais sans doute très long et complexe de tracer tous les parallèles entre le Baron et les autres œuvres de Krasznahorkai (si vous ne les avez pas déjà toutes lues, n’attendez plus), on en énumérera ici quelques-uns seulement. Tout d’abord, on retrouve la figure du prophète marginalisé, on pense à M. Eszter dans Mélancolie de la résistance, le professeur de philosophie dans Le dernier loup ou encore le médecin dans Tango de Satan. Ici, cette figure est incarnée par le Professeur, spécialiste mondial des mousses ayant tout plaqué du jour au lendemain pour aller vivre en marge du monde après une prise de conscience vertigineuse en voyant une foule se précipiter dans un supermarché pour bénéficier d’une promotion sur du soda. Ce professeur et ses exercices d’auto-immunisation contre la pensée n’est pas sans rappeler le professeur de philosophie du Dernier loup, qui déclarait dans les premières pages, si mes souvenirs sont bons, que « tout n’est que vanité et mépris ». On retrouve également la figure du faux prophète, escroc avéré dans Tango de Satan, escroc malgré lui ici ou bien escroc manipulé dans Mélancolie de la résistance à travers le personnage du Prince. C’est donc le Baron qui incarne cette figure prophétique dans le roman, suscitant une effervescence irrationnelle virant au fanatisme. Les thèmes, chez Krasznahorkai, et les idées qui les sous-tendent, s’incarnent donc dans des situations et des personnages qui leur donnent corps. On est à mille lieues du roman métaphysique à la dramaturgie rabougrie avec pour seule nécessité de permettre d’exprimer ses idées. Comme souvent dans son œuvre, et plus particulièrement dans Seiobo, il est question d’infini, de beauté que nous n’arrivons pas à voir, arrimés à une existence pleine de vanité à laquelle on tente de donner un sens, quitte à tomber dans le fanatisme le plus complet comme arrive souvent dans ses romans. « Peut-être était-ce à cause des larmes qu’il ne remarqua pas l’absence de saint Pantaléon, peut-être était-ce à cause de la beauté spectrale de ce qu’il voyait qu’il ne lui vint pas à l’esprit que celui à qui ce nimbe appartenait ne se trouvait nulle part sur cette terre. » (p. 120).

Celles et ceux qui liront ces lignes après avoir lu le roman seront sans doute intéressés d’apprendre, s’ils ne le savent pas déjà, que le poète hongrois Attila Jozsef auquel Krasznahorkai a payé sa dette lors de son discours de réception du Man Booker est décédé dans des circonstances qui ne vous seront pas étrangères à en lire sa page Wikipedia : « Il meurt le 3 décembre 1937 à l'âge de 32 ans, à Balatonszárszó, écrasé par un train. Un mémorial est érigé non loin de l'endroit de sa mort. La thèse généralement acceptée est celle du suicide ; certains considèrent cependant que sa mort fut accidentelle. »

Gabagool
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le 4 mai 2023

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