Il y a des livres à motifs. Motif floral, musical. Et ceux qui tricotent le récit d’une vie avec sa mélancolie douce. Le Bel Obscur est un mélange de tout cela, un bouquet fascinant d’une existence en recul, l’effacement d’une femme derrière la vie débridée de son mari, un homosexuel loin d’être refoulé.

Une fille à PD comme ça se disait dans le temps. Mais jamais dit avec autant de vulgarité. Notre narratrice est plus douce et délicate dans la mention de son rôle. Et ce qui est beau et triste c’est que justement, elle n’est pas grand chose. Il n’y a pas de statut pour ces femmes mariées à un homosexuel. Ces femmes qui restent avec leur conjoint, le soutiennent et font écran au monde, pour que personne ne sache, du moins ne s’introduise dans leur intimité.

Et que reste-t-il d’intimité sinon des balbutiements maladroits, une colocation de mauvais genre où viennent et vont les amants de passage. Et elle, la narratrice poussée sur le bord du chemin, forcée froidement à retrouver sa liberté, à faire ce qu’elle souhaite de sa vie.

Il y a un relent cruel dans ce récit, dont seuls les hommes savent se faire maître. En miroir de sa propre vie, Vincent voudrait que sa femme expérimente la même liberté, rencontre du monde. Rien n’est si simple. En creux, la mère a fomenté une éducation religieuse, un étau de « bonne fille à marier » qui n’aide pas à s’émanciper.

Et puis, dans le réconfort de ses morts, la narratrice farfouille la vie et la mort d’Edmond, un aïeul décédé vers trente ans. Accident ? Suicide ? Elle ne sait pas trop, penche peut-être pour l’un, imagine sa vie, suppose que son air précieux, les quelques mots abandonnés sur un coin de papier, des bruits de couloir comme quoi il aurait déçu sa mère sont tout autant de prétextes pour une disparition fantasque.

Et d’hommes toujours il s’agira. Ceux derrière qui elle s’obstine à disparaître, se flagellant d’être là, à se mettre toute seule en colère, comme elle le dit au début du roman, envolée derrière l’excuse d’un buddleia.

Récit d’une femme donc, d’elle et de beaucoup qui n’ont pas besoin je dirais d’être femme d’un homme qui ne les aime pas pour être reléguée à l’arrière plan parce que « pas assez », parce que « trop. »

Ça et puis c’est drôle, au long de la lecture, une petite pensée pour la chanteuse Meimuna et sa chanson « fureurs secrètes » m’est venue :

On m'a déjà dit

Faut pas vouloir

Être toute la vie

Son propre rival


Critique aussi publiée -> ici <-

SPDD
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste En 2025 je lis...

Créée

le 12 nov. 2025

Critique lue 3 fois

SPDD

Écrit par

Critique lue 3 fois

D'autres avis sur Le Bel Obscur

Le Bel Obscur
matatoune
9

Critique de Le Bel Obscur par matatoune

Des documents : une photo, une lettre à un père et une déclaration signée de la ville de Liège et puis un brouillon. Tous ont un lien avec un certain Edmond. Seulement, dans l’arbre généalogique...

le 1 nov. 2025

1 j'aime

Le Bel Obscur
SPDD
7

Fureurs secrètes

Il y a des livres à motifs. Motif floral, musical. Et ceux qui tricotent le récit d’une vie avec sa mélancolie douce. Le Bel Obscur est un mélange de tout cela, un bouquet fascinant d’une existence...

Par

le 12 nov. 2025

Du même critique

L'Étranger
SPDD
4

Soleil tiède (spoiler)

CRITIQUE APRES LE CINEXPERIENCE (spoiler)Sous un soleil en noir et blanc, beau à se dorer la pilule, beau à refléter la lame d’un couteau mortel. L’un comme l’autre, ne sont-ils pas voués à la même...

Par

le 23 oct. 2025

10 j'aime

Good One
SPDD
8

Les bavards silencieux

Une caméra posée au milieu d’un bois, et voilà toute la montagne qui prend des airs de confessionnal à ciel ouvert. L’oreille attentive devient celle de la nature et de ceux qui, bon gré mal gré,...

Par

le 14 nov. 2024

4 j'aime

Fief
SPDD
5

Pourquoi pas.

(edit août 2019) Voila, Fief je l'attendais avec impatience ! Mais ne voulais pas l'acheter pour autant : 17 euros environ l'édition broché ne me tentait pas. On le dit d'ailleurs assez peu que lire...

Par

le 28 janv. 2019

4 j'aime