Sous-titré «Lettres des Antipodes», ce recueil de Simon Leys paru en 2008, qui rassemble une trentaine de chroniques parues dans des magazines littéraires dans les années 2000, est une lecture jubilatoire d’un auteur d’une curiosité et d’une clairvoyance rare sur la littérature, nourrie de son esprit aventureux et de ses grandes passions pour la Chine et la mer.


«Lettres des Antipodes» ne fait pas tant référence à l’Australie, dernier lieu de résidence de l’auteur, qu’à cet antipode que représente la Chine dans l’esprit occidental et dont Simon Leys n’a cessé d’explorer l’altérité, reprenant à son compte les mots du sinologue anglais Joseph Needham : «La civilisation chinoise présente l’irrésistible fascination de ce qui est totalement «autre», et seul ce qui est totalement «autre» peut inspirer l’amour le plus profond en même temps qu’un puissant désir de le connaître».


Simon Leys fait ici l’éloge de la beauté et de l’inutile, l’éloge de ces impressions et observations accidentelles si fécondes, de ces moments vides en art qui précèdent le geste créateur, l’éloge de la puissance expressive des blancs ou de l’art de la litote, aux antipodes d'un monde essentiellement utilitaire et marchand, où la laideur et la bêtise ne cessent de s’étendre.


«Un prince voulait faire exécuter des peintures dans son palais ; une foule de peintres répondirent à son invitation et, après avoir présenté leurs respects, ils s’affairèrent aussitôt devant lui, léchant leurs pinceaux et broyant leur encre. Un seul, toutefois, arriva après tous les autres ; sans se presser, il salua le prince au passage, puis disparut en coulisses. Intrigue, le prince chargea un serviteur d’aller voir ce qu’il faisait. Le serviteur revint, tout perplexe : «Cet individu s’est déshabillé et il est assis demi-nu, à ne rien faire. – Splendide ! s’écria le prince, celui-là fera l’affaire c’est un vrai peintre !» (récit de Zhuang Zi cité dans «Cosa mentale, Action supérieure de l’inaction»)

MarianneL
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le 24 août 2014

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