Le bonheur pauvre rengaine par MarianneL
Paru en 2013 aux éditions du Rouergue, le deuxième roman de l’historien et romancier Sylvain Pattieu parvient à raconter les barrières d’une exclusion sociale insurmontable au travers d’un fait divers tragique, le meurtre d’une prostituée en septembre 1920 à Marseille. Exclue du domicile parental par une belle-mère cruelle, Yvonne Schmidt travailla tout d’abord comme munitionnette en usine pendant la grande guerre pour gagner sa vie, avant d’être exclue du monde ouvrier en 1918 au retour des hommes, et de se prostituer pour s’en sortir. En difficulté, elle sera conduite vers Marseille, mirage de terre promise, par un souteneur minable.
Sylvain Pattieu donne une voix à tous les acteurs de ce drame appelé l’affaire de «l’Athlète et du Nez pointu», description sommaire du physique des deux suspects : Yvonne Schmidt la victime, Yves Coliou, un ancien ouvrier devenu truand et proxénète, victime d’atrocités et bourreau pendant son service militaire dans un bagne colonial en Afrique du Nord, Simone Marchand, prostituée à mi-chemin entre deux mondes, installée par son amant dans un appartement bourgeois à deux pas du Vieux Port mais toujours entichée d’un mauvais garçon, et le commissaire André Robert aveuglé par sa propre histoire et ses préjugés durant l’enquête.
«Biribi ça existe pas, on a inventé ce nom parce que c’est être nulle part, l’enfer sur terre. A Biribi, tu fais l’armée et le bagne en même temps, des le début tu comprends que t’es plus un homme, presque un animal.»
«Vous en avez connu des hommes et maintenant c’est celui là, Fredval. Les hommes, votre force, votre faiblesse. Sans homme, sans homme à ses côtés, on ne peut arriver à rien, vous le savez et vous ne vous contentez pas de faire avec, vous en avez aimé passionnément, qui vous ont fait souffrir comme vous en avez fait souffrir, comme si la somme des souffrances infligées s’équilibrait avec celle des souffrances subies, deux poids sur votre âme mais loin de peser autant, les unes légères comme l’indifférence, les autres qui emplissent les souvenirs et font remonter l’aigreur, vous n’y pensez pas trop sinon ça mine.»
La polyphonie des voix et les documents d’archives, lettres et photographies intégrés au récit, démêlant la pelote des fils du drame nous plongent en immersion dans cette enquête dont l’issue est connue. Avec ces fantômes retrouvés dans un carton d’archives des Bouches du Rhône, Sylvain Pattieu nous en dit plus long qu’avec bien des essais sur les destins et espoirs broyés par la brutalité des conditions ouvrière et féminine, et par les atrocités commises dans les bagnes dits de Biribi.
«Tout est dit. Fort contre faible. Colon contre indigène. Riche contre miséreux. Homme contre femme. Malédiction, sans cesse répétée et éprouvée.»