Le capitaliste contre Marx

- Bonjour, monsieur. Belle tête que vous avez là, ne seriez-vous pas ce qu'on appelle un capitaliste ?

- Oh ! je vous sais gré du compliment, mon brave. Je ne m'entêterai pas davantage pour m'avouer tel que vous le dites. Que puis-je donc faire pour capitaliser votre abord ?

- Je ne voudrais pas jouer l'ironiste, croyez-moi, aussi je viens là capitaliser votre décapitation ! Ne vous inquiétez pas, je parle de guillotine métaphysique, il s'agit seulement de vous défaire de votre état bourgeois.

- Ainsi, monsieur est antibourgeois. Je ne l'aurais pas deviné dans votre accoutrement, vous avez l'art du camouflage, bravo ! Je regrette pourtant, je ne puis me dévêtir de mon statut. Voyez-vous, ma pudeur s'en offenserait ! Mais expliquez-moi plutôt l'origine de cette haine bizarre d'hommes respectables sous tous rapports. Il faut absolument élucider ce mystère.

- Naturellement, vous n'ignorez pas que vous exploitez vos travailleurs ? Vous faites de pauvres hommes des esclaves, des animaux, des machines ! Quel respect devrait-on témoigner à de pareils monstres ! Je dis des hommes au sens large, d'ailleurs. Hommes, femmes, enfants, tout le monde est bon pour le carcan chez vous. Et cela par pure cupidité, avarice, capitalisme !

- Voilà un sens des généralités accompli. Il est certain qu'avec vous, nous franchirons vite le mur rousseauiste de la société pour gambader dans les prairies avec l'Émile. Laissez-moi vous répondre cependant que je n'exploite qu'une seule personne, c'est moi-même, attendu que je suis artisan. Je ne voulais pas paraitre impoli en démentant votre joli compliment. Et puis, l'artisan, n'est-ce pas le père du capitaliste ? Si vous condamnez mon fils, vous aurez donc affaire à moi, monsieur le costumier.

- Le brave travailleur ! N'en faites pas une affaire personnelle, après tout, je m'attaque à l'idée capitaliste, pas à l'égoïste derrière le masque. Plus-value, c'est là mon combat. Vous consentirez volontiers à admettre que ce mesquin profit est un vol, l'oisif bourgeois improductif, formule trois fois pléonastique ! que faire de cet inutile parasite ? Inutile, le mot ne remplit pas la mesure. Pernicieux faudrait-il dire, fatal, meurtrier ! Supprimez le capitaliste, la société ne s'en portera que mieux.

- Eh bien ! Vous n'êtes pas avare de paroles, mon cher économiste. Ne faut-il pourtant pas avouer qu'en bannissant ledit capitaliste, vous détruisez également l'union des travailleurs. Comment comptez-vous combler le chaos que vous avez produit en détruisant l'ordre qui régnait ?

- Vous plaisantez, citoyen ! La société capitaliste est une société d'ordres au pluriel et non d'ordre au singulier, la classe bourgeoise d'un côté, la classe prolétaire de l'autre. Il y a donc lutte chaotique éternelle jusqu'au jour heureux du triomphe des prolétaires ! « À l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, se substituera une association où le libre développement de chacun sera la condition du libre développement de tous. »

- Ouiche ! Belle formule, en effet. Toutefois, si les mots offraient des remèdes aux maux, nous nous contenterions de docteurs en philosophie. Votre inconséquence a de quoi étonner. Pour caricaturer votre position, le méchant capitaliste se serait introduit dans la société pour la rendre dysfonctionnelle. Mais si le capitaliste est le masque de l'égoïste, pourquoi vous attaquer à un fantôme, une apparence, un épiderme ! Portez l'estocade et dites mort à l'égoïste.

- Vous avez tort, l'égoïsme nait du conditionnement de la société capitaliste. L'abolition du capital contribuera à une perspective altruiste des motifs de l'action humaine. Chacun agira pour tous dans l'immédiat, personne pour demander, ni pour offrir, car nous connaitrons tous nos désirs et nos besoins, l'accomplissement de la véritable égalité à travers une interconnexion totale.

- Devrais-je me réjouir à l'idée d'être un robot !? Accouchez d'une machine et mourez, bougre d'androïde ! Car il n'y a que dans la mort que l'homme atteindra l'égalité. Le monde des vivants, c'est le monde de la nature, et la nature, c'est l'inégalité pure. Maudit abstracteur, honte de l'humanité, méprisable animal, ta décapitation se fera guère attendre, et celle-ci sera bien réelle. Adieu !