Voici un tout petit roman avec de jolies illustrations dans lequel deux meilleurs amis inséparables vivent pour la première fois un motif de partage social. En effet, Martin et notre narrateur ( le garçon aux cheveux roux) ont pour ainsi dire, toujours été ensemble depuis leur tendre enfance, s'attendant le matin pour aller à l'école, malgré les nombreux retards de Martin. Dans les nombreuses raisons de ces retards, on a le fait de vouloir finir un livre, lasser des souliers aux lacets interminables et donner de l'affection à ses lapins. Ça agace un peu notre narrateur de devoir ainsi attendre son ami et voisin. Mais le jour où Martin adopte un chien, les choses changent.



Soudain, l'attention de Martin est davantage portée sur son nouveau compagnon et cette arrivée lui vaut l'attention des autres enfants de sa classe. Notre narrateur se sent exclut et jaloux. Un jour, Tador, le chien de Martin, se retrouve à l'extérieur de la maison et quand il tente de rejoindre son voisin via la fenêtre où ils communiquent habituellement, ce dernier ne répond pas. Ne pouvant laisser le chien dehors, le narrateur l'amène à la maison pour la nuit, avec l'intention de le rendre le lendemain. Toutefois, quand il amène Tador à son maître, ce dernier semble lui en vouloir énormément.


Attention, il y aura des divulgâchis à partir d'ici.



On peut imaginer que Martin croit que son ami lui a enlevé son chien, mais ce n'est pas le cas. Ce quiproquo entraine un froid entre les deux garçons. Notre narrateur est malheureux, alors que Martin file à la maison, après l'école, sans même l'avoir attendu. Il va se consoler dans sa cours arrière, morose. C'est alors que Tador saute la clôture et vient le rejoindre pour le consoler. Il faudra bien l'admettre: Si Tador s'est retrouvé du côté de notre garçon aux cheveux roux, c'est de son fait. Penaud, réalisant qu'il a accusé à tort son ami d'avoir gardé son chien, Martin vient le récupérer et on comprend à son ton qu'il réalise son erreur.



Les deux amis se sont réconciliés et Martin propose même que Tador devienne "leur" chien à tout deux. La scène finale illustre les deux amis couchés en sens inverse, mains dans la mains et Tador niché entre eux deux. Et ils semblent très bien ainsi, tous les trois.



Ce ne doit pas être facile pour les enfants de devoir partager leurs amis, mais en même temps, les gens ne s'appartiennent pas ( sinon on a une dynamique malsaine). Dans le présent livre, il y a donc un apprentissage à faire, celui du partage social. J'ai déjà lus pleins d'albums sur ce sujet délicat pour les plus jeunes, alors que des personnages apprennent que les amis ne sont pas des objets, on a pas de chasse gardé sur eux. Par contre, et c'est là l'élément intéressant, il faut surmonter des émotions désagréables, comme l'insécurité, parfois la jalousie et le sentiment d'exclusion.



Dans l'histoire, ce n'est qu'une période d'ajustement, au final, car c'est bien normal que Martin soit enthousiaste d"avoir un nouveau compagnon. Il néglige une amitié importante pour lui, allant même jusqu'à lui prêter des intentions qu'il n'a jamais eu. Il a fait une erreur, mais il a su la corriger et réaffirmer l'importance de son amitié pour notre narrateur. Après tout, de notre point de vue de Lecteur, le narrateur a prit soin du chien de Martin précisément parce que Tador est important pour Martin. Ça et parce qu'il a l'empathie de penser au bien-être de l'animal ( on ne laisse pas un chien dehors toute la nuit!). Le tout se clos avec une amitié à trois, ce qui illustre, à mon sens, qu'ils ont apprit à partager leur espace d'amitié.


Je réitère souvent que les relations saines ne sont pas exempte de défis et de conflits, mais c'est la force des relations saines qui sont érigées sur des bases saines, de surmonter les aléas de la relation. Une relation complice, confiante, respectueuse et ayant survécu au temps comme celle de Martin et du narrateur, explique sans doute pourquoi ils ont su trouver le chemin de la réconciliation.


Enfin, je pense que la présence de Tador a servi à consolider leur amitié, sans qu'ils s'en soient forcément rendus compte. Avoir envie de partager quelque chose d'aussi important qu'un animal de compagnie me semble un exemple probant de L'importance même de la relation. Il faut dire que Tador est particulièrement attachant. Quand il a sauté la clôture pour venir voir le narrateur, ça m'a évoqué toutes ces fois où j'ai entendu des histoires sur le flaire émotionnel des animaux, qui non seulement sentent les émotions, mais cherchent à réconforter leur maitre.



Un mot, pour terminer, sur Martin lui-même. Ce personnage avait quelque chose d'unique, je trouve. Il est de ces enfants qui voient l’extraordinaire partout, dans les petits détails comme dans les atypies et les miracles de la nature. Il adore ses lapins et son chien, il a donc une forte intelligence émotionnelle et une sensibilité manifeste. Il adore lire. Je suis toujours à l'affut de personnages masculins qui ne sont pas de petits machos en puissance, s’inscrivant dans la diversité masculine telle qu'elle existe dans la vraie vie. Martin représente une masculinité que j'aimerais voir plus en littérature jeunesse. Cette illustration finale, où les deux garçons se tiennent une mains, le sourire au lèvres, avait quelque chose de fort: L'idée que les garçons peuvent être tendre et affectueux entre eux, sans inévitablement passer pour des garçons gays. Et ça , je trouve que ça force un certain respect, surtout dans un monde encore trop homogénéisant pour les profils identitaires masculins.



Bref, ce roman a beau être court et plutôt simple, je le trouve doux et pertinent. C'est une tranche-de-vie dans une amitié de longue date, mais ce court passage a marqué une évolution dans cette même amitié. Maintenant, Martin et le narrateur savent que leur amitié est solide, suffisamment pour passer des moments insécurisants comme ils en ont vécu. Et ça, ça se fête!



À voir!



Pour un lectorat intermédiaire, à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+

Shaynning

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