Le Déchronologue, dernier roman de Stéphane Beauverger, est enfin paru chez La Volte. Après avoir patienté de nombreux mois depuis la sortie du précédent livre de l'auteur, La Cité nymphale, et supporté un recul de la date de parution[1], les fans transits de « Stef » Beauverger ont enfin pu s'emparer du « Déchro » sur les rayonnages de leurs libraires préférés et monter à bord du Déchronologue, pour un voyage sur la mer des Caraïbes.

Mort de moi ! Avant de dire du bien, si nous disions un peu de mal...

La Volte est une petite maison d'édition qui publie quatre à cinq livres par an. On compte dans son catalogue des romans comme La Horde du contrevent de Damasio, Narcose de Jacques Barbéri ou Vurt de Jeff Noon. Bien qu'ayant un souci de qualité extrême pour ses publications, l'éditeur a failli avec Le Déchronologue. Si la couverture de Corinne Billon est de toute beauté, donnant à l'ouvrage une apparence extérieure de fort bonne facture, le texte à l'intérieur est émaillé de défauts : mots manquants ou en trop, fautes d'othographes, et caetera, en trop grand nombre pour que cele ne déconcentre pas le lecteur dans son exploration de l'ouvrage.
Pour avoir discuté avec eux, je peux affirmer que Stéphane Beauverger et Mathias Echenay, le big boss de La Volte, sont les premiers désolés de toutes ces imperfections. Ce sont les aléas de l'édition, mais cela est fort désolant.

Toutefois, cela n'empêche pas de prendre grand plaisir à lire Le Déchronologue...

Pute vierge ! Le « Déchro » est une petite maravilla !

À la fois roman d'aventures maritimes et de science-fiction matinée de paradoxes temporels, Le Déchronologue est un ouvrage bien atypique, à l'image des œuvres précédentes de Stéphane Beauverger. Déjà, avec le triptyque Chromozone (Chromozone, Les Noctivores et La Cité nymphale), nous avions été transportés dans un proche avenir, où un virus avait fait s'écrouler toute la structure numérique mondiale. En faisant illustrer les intérieurs par Corinne Billon, en utilisant un logiciel de génération automatique de dialogues et en agrémentant le troisième tome de la trilogie d'un album inédit des Hint, l'auteur avait fait du triptyque Chromozone une expérience littéraire particulière. Il en est de même avec Le Déchronologue, roman véritablement déconstruit. Les chapitres, placés dans un désordre chronologique savamment étudié, brinqueballent le lecteur entre le passé et le futur.
Enfin, pour être exact, entre le 17 juin 1640 et le 19 septembre 1655. Car Le Déchronologue est une histoire de pirates de la grande époque de la flibuste, à savoir le XVIIème siècle, époque faste pour une Espagne à qui le Pape[2] avait réservé l'exclusivité du massacre des populations amérindiennes et du pillage de leurs merveilleuses cités d'or, pour la plus grande gloire de Dieu. Et tant pis pour les autres grandes nations de l'époque. Amen !

C'est au côté de Henri Villon que le lecteur embarque ; Henri Villon, libre-capitaine français, avant tout à son propre service avant d'être à celui de Louis XIII[3] ; Henri Villon, haïssant autant les Spaniards que les Anglais, sinon plus, comme tout bon Français de l'époque ; Henri Villon, enfin, à la recherche des conservas et autres maravillas, qui font la fortune de ceux qui mettent la main dessus.
Car Le Déchronologue est également une uchronie. Le XVIIème siècle du dernier roman de Beauverger ne possède, au début de l'aventure de Henri Villon, que peu de différences avec celui que le Terre a réellement connu. Ce sont les fameuses maravillas qui distinguent les deux univers parallèles. Ces objets, apparus on ne sait par quel phénomène, font tourner les têtes. On se dispute pour des batteries électriques, des walkmans et nombre d'autres gadgets pour nous, hommes du XXIème siècle. Mais au fur et à mesure que l'histoire avance (chronologiquement), de plus en plus d'objets insolites apparaissent, comme des lampes torches, des radios et même des armes à feu.
Et bien sûr, il y a les batteries temporelles du Déchronologue. Idée fort amusante, fascinante et intrigante que celle de ces canons lançant des munitions d'heures, de minutes et de secondes. Des armes redoutables, capablent d'envoûter le lecteur et que l'auteur manipule avec beaucoup de maîtrise, avec une parcimonie qui en fait monter la valeur. Le lecteur attend avec impatience les passages où Villon fera mettre en action les redoutables canons venus d'un autre temps. Il est récompensé en de rares occasions qui sont d'autant plus savourées.

Tous ces éléments font déjà du Déchronologue un bon roman. Mais il y a quelque chose qui confirme la qualité de ce livre. C'est Henri Villon.

Christ mort ! Quel personnage, ce Villon !

L'histoire contée dans Le Déchronologue l'est par Henri Villon lui-même. Il a écrit dans un journal, avant sa mort, tout ce qu'il y a à savoir de l'incroyable aventure qu'il a vécue. C'est donc plus que le personnage principal du roman. Il est aussi le narrateur, notre guide dans l'univers uchronique du Déchronologue.
Au fil des pages, nous découvrons toutes les nuances d'un personnage véritablement héroïque, de par sa bonté – bien qu'il ne soit pas tendre –, le sens de l'honneur qui le caractérise – bien que ce soit un contrebandier – et le respect qu'il a pour les autres êtres humains – bien qu'il ne soit pas dénué d'une certaine xénophobie. Des quelques indices qui lui échappent sur son passé, on devine des blessures morales qui ne sont pas pour rien dans sa position de flibustier. Villon est un personnage complexe, qui était nécessaire pour faire du Déchronologue plus qu'un simple récit subjectif. Le capitaine du Déchronologue est plus qu'un simple conteur : c'est pour le lecteur un compagnon de voyage pour une aventure fantastique. On frémit lorsqu'un danger le menace, que l'action est à son comble, on est heureux lorsqu'il se sort d'un guêpier et on haït autant que lui les odieux Spaniards comme le capitaine Mendoza.

Mais Villon n'est pas le seul personnage du Déchronologue, loin de là. Même si c'est le plus abouti – personnage principal oblige – il y en a tout un tas d'autres qui sont attachants ou repoussants, mais qui ne laissent en tout cas pas indifférent. Féfé de Dieppe, Le Vasseur, les Targui, Mendoza, Sévère et bien sûr les équipages du capitaine Villon, autant de figures, parmi d'autres, qui émaillent le roman de personnalités intrigantes et fascinantes.
Tous ces personnages, du moins une bonne partie, ont un discours parsemé de jurons décoiffants, qui font sourire et ont un ton très XVIIème siècle. C'est une de ces petites choses supplémentaires qui rendent les personnages de Stéphane Beauverger un peu plus sympathiques.

Par les couilles du Pape ! Beauverger mène bien sa barque !

Oh que oui ! Il n'est pas aisé, je suppose, d'écrire une histoire qui place le temps au centre de ses thèmes. Le voyage dans le temps, les perturbations temporelles, les bouleversements quantiques sont difficiles à maîtriser. Il faut, malgré l'incohérence apparente de ces phénomènes, les expliquer rationnellement pour le lecteur y croie.
La solution adoptée par Stéphane Beauverger est un petit peu différente. C'est d'ailleurs un choix évident. En effet, le narrateur ne possède aucune explication aux expériences qu'il a vécues. Il ne peut donc que raconter ce qu'il a vu et ressenti, et donner les quelques rares éléments dont il dispose.
En conséquence, l'auteur du Déchronologue n'explique que peu ce qui se passe. Mais ce n'est pas grave. C'est le paradoxe des histoires de voyages dans le temps : il est indispensable d'expliquer ce qui se passe, mais l'auteur a souvent intérêt à ne pas lancer des théories à tout-va, avec lesquelles il peut rapidement se casser le nez et ruiner son histoire. Dans son roman, Stéphane Beauverger assure son coup en faisant simplement en sorte que la boucle soit bouclée, en retombant élégamment sur ses pieds à la conclusion du récit. Ce n'est peut-être pas ce qui a été fait de mieux en matière d'histoires ayant pour thème le temps, mais c'est parfaitement correct.
De plus, grâce à la déconstruction de l'histoire (les chapitres XVI et XVII suivent le premier et sont suivis du VI et du II, et caetera), l'auteur permet au lecteur de ressentir lui-même l'étourdissement provoqué par les perturbations temporelles vécues par Villon. Malgré cette structure, on comprend toutefois parfaitement l'enchaînement chronologique des événements. On éprouve même plutôt du plaisir, comme souvent avec les récits construits de cette façon, à assembler soi-même les pièces du puzzle en un tout cohérent.

Ventrebleu ! Lisez Le Déchronologue !

Le Déchronologue est un roman qui correspond, je trouve, parfaitement à ce début d'année 2009 : il est bon.
Pour guider le lecteur dans son choix de lire ou de ne pas lire ce livre (et ne pas lui mentir), je mettrais toutefois un bémol à ma critique élogieuse. Il est indispensable, pour apprécier Le Déchronologue, de ne pas détester les histoires de pirates et de voyages dans le temps. Si ce n'est pas le cas, passez votre chemin.


[1] Peut-être ce retard avait-il pour but d'éviter le télescopage avec L'Île au trésor de Pierre Pelot, autre histoire de pirates parues fin 2008.
[2] Le pape de l'époque est Urbain VIII (Hop ! Vous vous coucherez moins bête ce soir).
[3] Au début du roman car, comme chacun sait, Louis XIII, le bon roi de France ayant autorisé la traite négrière, est mort en 1643, d'une glorieuse inflammation du colon. Hé ! Hé ! Comme quoi il y a peut-être une certaine justice dans ce bas monde.
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le 18 déc. 2010

Modifiée

le 22 juil. 2012

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