Double-face

A l'opposé de l'aspect impalpable et mystérieux du film, Le dernier rêve de Stanley Kubrick approche Eyes Wide Shut de manière ultra pragmatique. Sur la base d'entretiens d'acteurs et techniciens ayant travaillé sur le film, Axel Cadieux tente de retracer l'envers du décor de ce film qui a suscité tant de fantasme à son époque.
Le livre est très agréable à lire grâce à sa construction maligne et chronologique qui mêle habilement les entretiens sans jamais tomber dans l'exercice journalistique pur et dur. Il prend le temps de poser son enquête (le mini résumé sur deux pages au début du livre, est parfait pour se replonger dans la trame de l'histoire) et construit son livre de manière limpide.

L'un des parti-pris très intéressant du livre est qu'à aucun moment l'auteur ne cherche à réellement analyser le film, à en tirer des interprétations, exercice qui semble pourtant obligatoire tant le film recèle de zones d'ombre. Il se contente des faits rapportés par ses différentes rencontres pour croiser les informations et ainsi émettre certaines hypothèses. Il met notamment en exergue la nostalgie presque maladive de Kubrick pour son New York natal, obsédé d'une part par l'idée de récréer l'ambiance de cette ville au plus proche de la réalité, tout en y incorporant des choses incongrues qui proviennent purement de souvenirs de Kubrick (la tenue des serveuses du film notamment).

L'objectif principal et intérêt majeur du livre reste sa tentative de percée du personnage Stanley Kubrick. Les différentes rencontres de l'auteur permettent ainsi d'envisager un individu très humain, à l'écoute de ses collaborateurs et de leurs idées, qui n'hésite toutefois pas à évincer toute personne qui ne s'investirait pas suffisamment selon lui. On a vraiment l'impression d'un individu à deux facettes. Beaucoup insistent sur sa prévenance, son intérêt pour chacun peu importe leur poste, et la place qu'il laisse aux idées et envies de chacun. Et d'un autre côté, il est également un réalisateur qui va essayer de tirer le maximum de chacun de ses acteurs et techniciens quitte à les épuiser, à cause de son perfectionnisme franchement maladif. Tout le monde doit être au service de sa création quoi qu'il en coûte. Kubrick apparaît ainsi comme un altruiste ouvrant la porte de son film à ceux qui le veulent vraiment mais également comme un chef d'orchestre à la main de fer capable de contrôler le moindre détail.

Le dernier rêve de Stanley Kubrick est un bon livre, parfait pour saisir le personnage de Kubrick et apprendre quelques histoires autour du film mais qui m'a toutefois un peu laissé sur ma faim par son format court. On aurait presque aimé une retranscription de certains entretiens en fin de livre pour aller encore plus loin, et essayer de tendre encore un peu plus vers la compréhension de la construction de ce chef-d’œuvre.