Note et critique pour l'ensemble du troisième cycle : tomes 14 à 19


Fort de ses 36 tomes et 2 romans-courts, la très réputée saga de Robin Hobb figure désormais parmi les plus longues du genre et c’est Le Destin de l’Assassin qui y met un terme en achevant le troisième cycle de L’Assassin Royal. Cette suite vaut-elle le coup ? Parvient-elle à égaler la qualité de ses prédécesseurs ?



Art-ificiel



Autant mettre fin au suspense d’emblée : malgré de bonnes trouvailles que j’énoncerai dans la suite de cette critique, j’ai trouvé ce cycle en-dessous de ses prédécesseurs. Pas mauvais, mais décevant. Décevant au point de m’être posé une question redoutable et révélatrice de mon ressenti en refermant ce dernier livre : « Tout ceci était-il bien nécessaire ? »


Premièrement, et c’est je crois le principal défaut de ce cycle, on ne retrouve pas (ou trop peu) la poésie de Robin Hobb, cette froide rêverie marquée d’autant de joie que de tristesse qui transparaissait dans chaque page des premiers tomes de la saga. Une poésie avec laquelle ce début de cycle avait su renouer mais qui disparait nettement à partir du tome 3 (En Quête de Vengeance). La mélancolie devient alors dépressive, le remord larmoyant et la colère capricieuse. Toute émotion est fade. Toute nostalgie, disparue.


L’autre problème de ce cycle est purement narratif, et je l’avais déjà soulevé dans Les Cités des Anciens. Passé ce fatidique tome 3, le récit s’enlise dans une monotonie lassante que rien ne viendra bouleverser. L’histoire peinera à redécoller et ce, même vers la fin.


Je suis très peiné d’exprimer autant de réserve vis-à-vis l’écriture de Robin Hobb qui nous avait habitués à l’excellence, mais je l’ai senti, dans ce cycle, en pilote automatique : les péripéties s’égrènent en une succession de phrases décrivant fadement les actions. Quid des instants contemplatifs ? Les événements étirent le récit jusqu’à l’extrême, si bien que le fil narratif semble sur le point de se rompre à tous moments. Cela tient du fait que l’intrigue ne sera jamais relancée. Peu de surprise. Aucun ressort scénaristique. Jamais. Les personnages partent de A pour se rendre à B, sans aucune sortie de route. Alors le récit se poursuit inlassablement, en totale roue libre.


On notera par ailleurs que ces personnages ne se démarquent jamais par leurs actions. Ils semblent tout autant spectateurs des événements que nous le sommes. La réflexion m’est venue en cours de lecture qu’il s’agit de « héros par statut », de héros arbitraires, sans qu'aucun événement ne vienne justifier le-dit statut, à l’exception de ce qu'ils ont vécu dans les précédents cycles — et de quelques compétences magiques de Fitz (et encore, il ne fait jamais exprès…). Même constat pour ceux font leur première apparition dans ce cycle et qui n’ont, à l’exception d’Abeille, que peu d’intérêt.


Robin Hobb tente de reproduire ce qu'elle avait maîtrisé avec brio dans Les Aventuriers de la Mer : un roman aux destins croisés dans lequel les fils narratifs s'entremêlent avec subtilité. Seulement là, c'est terriblement artificiel ! Au point qu’on en viendrait à soupçonner que tout ce cycle n’existe que pour rassembler le joyeux monde auquel l’auteur à donner vie au fil des quatre précédents cycles. On tient absolument à nous expliquer ce qu’il est advenu de chaque personnage, aucun n’est laissé de côté. Aucun. Pourquoi faut-il nécessairement qu’ils apparaissent tous ? N’eût-il pas mieux fallu les laisser faire leur vie en paix ? Bref, trop de trop, on peine parfois à y croire.


En fait, si le final peut réussir à convaincre dans ses grandes lignes, chaque scène prise au détail parait fausse ou manquer de force. En tout cas, plus on avance dans le récit, plus on a la sensation qu’on nous joue une mauvaise partition. C’est poussif, artificiel, au point que le lecteur percevra aisément les ficelles du récit.


Exemple volontairement vague et tronqué pour ne pas spoiler : des personnages sont amenés à se quitter définitivement ; pourtant vous savez très bien qu’ils se retrouveront simplement parce que la scène d’adieux qui la précède est bâclée et ne sonne pas juste. La suite du récit vous donne alors raison.


En conséquence, on distingue sans trop de difficultés les scènes majeures et importantes — les scènes « véritables » en quelques sortes — et celles qui n’existent que pour déclencher un effet de suspense. Inutile de préciser que ça tombe donc parfois un peu à plat.



Points positifs



Ouf… Après une telle critique, on serait tenté de penser qu’il ne reste pas beaucoup de positif à défendre dans ce troisième cycle de L’Assassin Royal. Rassurez-vous, il y en a ! Peut-être pas suffisamment pour que ce final tienne toutes ses promesses, mais assez pour que l’amoureux des aventures de FitzChevalerie parvienne à passer un bon moment.


La première réussite de ce cycle tient en un mot : Abeille. Peut-être parce qu’elle se situe aux antipodes des autres nouveaux personnages qui n’ont que peu, voire pas, de raison d’être, Abeille parvient à susciter l’intérêt par sa nature même. Elle donne du sens à l’histoire, tant au niveau de l’intrigue qu’au niveau de l’empathie qu’elle provoquera chez le lecteur. Un personnage franchement attachant que l’on a envie d’aimer, que l’on prend en pitié en même temps qu’elle développe son potentiel, et qui, il faut le dire, se démarque nettement de la multitude d’autres protagonistes sous-exploités du récit.


Non seulement, le caractère d’Abeille est équilibré et bien construit, mais c’est surtout la seule qui ait une véritable évolution psychologique, la seule qui ne reste pas apathique, la seule qui tente de réagir à ce qu’elle subit. En d’autres termes, la seule qui ait des réactions authentiques, logiques et qui ne sortent pas de nulle part pour justifier un contexte scénaristique.


Grâce à Abeille, c’est également la double narration qui fait son entrée dans la saga de L’Assassin Royal, ce qui permet de rythmer un peu le récit — et Dieu sait qu’il en a besoin ! — mais surtout de considérer FitzChevalrie Loinvoyant d’un point de vue externe pour la première fois en trois cycles. On découvre ainsi d’autres facettes du personnage ; on nous en dresse un portrait plus singulier, très intéressant, et nous permettant de davantage sentir comment son entourage le perçoit. En même temps, certains trouveront peut-être là le moindre défaut du personnage d'Abeille : elle éclipse en partie notre petit préféré, Fitz lui-même, qu'on aurait aimé être un peu plus acteur du récit.


Le second point positif de ce cycle réside sans conteste dans son univers. S’il y a bien une chose qui n’a pas changé après 36 tomes, c’est que Robin Hobb n’a pas son pareil pour s’approprier les poncifs de la fantasy et les renouveler. Que l’on parle du cycle de vie des Dragons, de l’utilisation des prophéties à travers la mythologie du Prophète blanc, de la magie sous forme d’Art, l’auteur parvient systématiquement à faire siens les concepts éculés de la fantasy et à les rendre originaux. De l’île des Autres aux Vivenefs, ça fourmille d’idées et d’interrogations auxquelles ce cycle répondra (pour la plupart !), et cela suffit à créer l’un des univers les plus riches et passionnants du genre.



Conclusion



Si l’ensemble de ce troisième cycle me semble inégal, porté par deux tomes introducteurs de bonne facture, puis quatre autres qui ont davantage peiné à me convaincre ; si j’ai été déçu par une écriture « facile » à laquelle Robin Hobb ne nous a pas habitués, et par cette narration parfois très artificielle, je dois bien admettre que les ultimes pages du Destin de l’Assassin ont su me cueillir et, encore une fois, m’arracher cette petite larme de mélancolie que peu d’autres auteurs ont su provoquer en moi.


Malgré un dénouement d’intrigue qui manque d’éclat, la toute fin conclut la saga d’une bien belle manière qui trouvera sans aucun doute résonance dans le cœur des lecteurs. Mais tout réussi qu’il soit, ce court final ne peut justifier à lui-seul la longueur des six tomes, pas plus qu’Abeille malgré toute l’empathie qu’on peut avoir pour le personnage.


Un cycle à réserver aux adorateurs de Robin Hobb et de son personnage fétiche, mais qui m’apparait plus dispensable — ou plutôt moins incontournable — que ses prédécesseurs.

Gilraen
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le 7 juin 2018

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