« Le fils de l'homme » est une tragédie antique transgénérationnelle d'une rare intensité, dont le sens est donné dès l'exergue par cette phrase de Sénèque  : « Et la rage des pères revivra chez les fils à chaque génération. »
Une introduction ambiguë, qui évoque concomitamment un monde antéhistorique ou postapocalyptique débute le roman, avec son lot de scènes marquantes, annonciatrices d'une menace diffuse.
Le livre est construit en un va et vient virtuose entre l'aujourd'hui, dans une petite cité ouvrière, puis un nouvel état présent, avec le retour inopiné du père et le départ dans la montagne, et un passé, plus ou moins lointain, où les événements sont précisés, dévoilés, d'où d'autres personnages surgissent, qui permettent une meilleure compréhension de l'état psychique des personnages principaux et font également progresser la montée en puissance du drame. Porté par une écriture dense et fascinante de virtuosité et un vocabulaire riche, le cœur du livre


- " Son cœur ne pourrait-il pas déchirer maintenant sa poitrine et jaillir dans le calme lumineux de la cuisine, laissant derrière lui son corps inutile et déserté ? " -



  • " Il sent aussi inexplicablement le grand mouvement qui les entraîne tous, lui compris, imperceptible, pourtant vertigineux, à travers le temps et à travers l'espace, toutes vies mêlées, hommes et bêtes, et avec eux les pierres, les arbres, les astres ignés." -


s'incarne dans le personnage de l'enfant, dont les ressentis sont décrits dans des moments d'intenses éblouissements ; tactile, sensoriel, olfactif, cosmique, l'enfant est au monde en état d'éveil spirituel ; Confronté à des relations humaines problématiques, il ressent fortement une complicité avec la nature, les végétaux, le ciel, les animaux avec qui se créé un rapport privilégié. Fuir une réalité dont il perçoit intuitivement l'issue fatale le place en osmose avec les éléments. Instants de consolation éphémère, puisque le retour dans le drame en marche est forcément inéluctable, et qu'il y a sa place, son rôle à tenir. L'image de la mère est toujours sacrificielle, que se soient les femmes, qu'elles soient mortes de maladie, où croyant à l'amour, mais ne le vivant pas comme elles l'auraient souhaité, ou la mère-nature, maltraitée, mutilée ; elles sont la justification, l'exutoire de la folie des hommes.



  • " Quelque chose monte en elle pour la submerger, le sentiment d'un destin en train de se nouer malgré elle et dont elle ne saurait infléchir le cours " -


Les pères sont des êtres solitaires, hantés, jusqu'au-boutistes jusqu'au masochisme, à la démence, qui finissent immanquablement associaux, porteurs du drame. Le père du temps du roman, qui dès son apparition, place l'histoire dans un état de malaise, promène un nihilisme à la fois lucide et cruel, faisant tout en apparence pour reconquérir la femme, mais menant en fait un autre dessein.


- " Car les hommes, plus qu'aucune autre bête peuplant cette foutue planète, naissent avec ce vide en eux, ce vide vertigineux qu'ils n'ont de cesse de vouloir désespérément combler, le temps que durera leur bref, leur insignifiant, leur pathétique passage en ce monde, tétanisés qu'ils sont par leur propre fugacité, leur propre absurdité, leur propre vanité, et quelque chose semble leur avoir fourré dans le crâne l'idée saugrenue qu'ils pourraient trouver dans un de leurs semblables de quoi remplir ce vide, ce manque qui préexiste en eux " -
"""


Dès lors, les actions s'enchaînent en une montée croissante des tensions, l'inquiétude que génèrent les actes du père s'oppose à l'osmose avec la nature du fils et à la vie de la mère qui espère toujours «  que la paix est possible ». Cet état de pression culminera lors de l'ensemble des terribles dénouements, - dont le dernier inversera le fatum originel, - dans un moment incandescent comme la braise de la cigarette allumée.

abel79
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le 31 oct. 2021

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