Homme de théâtre et écrivain à la carrière déjà prolifique en Italie, Luca Di Fulvio est devenu en peu de temps un véritable phénomène éditorial avec la publication de son roman Le gang des rêves (100 000 exemplaires en Italie, plus d’un million en Allemagne). L’auteur italien avait déjà été traduit et publié en France notamment dans la Série Noire, mais sans beaucoup de succès. Il aura fallu attendre l’arrivée d’un nouvel éditeur parisien (Slatkine et Cie) pour que la machine se mette en marche. L’éditeur cherche alors à se faire un nom et à se constituer un catalogue raisonnable mais solide, visant essentiellement un public de grands lecteurs sensibles à la qualité des romans proposés. Le gang des rêves apparaît comme du pain béni pour Slatkine puisqu’en dépit d’un énorme succès à l’étranger, les éditeurs français semblent s’être désintéressés de l’auteur italien (la traduction d’un roman de plus de 700 pages reste un investissement conséquent et explique sans doute cette frilosité pour un auteur resté jusqu’à présent confidentiel). Coup de poker gagnant pour Slatkine (et pour Pocket qui a signé les droits pour l’édition de poche), qui fort du soutien massif des libraires et des excellents retours critiques vend plus de 20 000 exemplaires du roman de Luca Di Fulvio (100 000 pour l’édition de poche). Et ce n’est pas fini puisque les deux romans suivants de l’auteur italien semblent suivre le même chemin.


    Oui oui, bon d’accord me direz-vous, toutes ces considérations économiques et éditoriales sont certainement passionnantes, mais au-delà du phénomène commercial Le gang des rêves est-il un bon livre ?


    Italie. Début du XXème siècle. Violée par un notable du village, la jeune et belle Cetta, quinze ans à peine,  quitte l’Italie pour rejoindre l’Amérique. Avec elle, elle amène son tout jeune fils, Natale, qui une fois arrivé à New-York sera rebaptisé Christmas (traduction littérale de son prénom italien).  Mais le rêve américain de la jeune-femme se brise rapidement sur les écueils de la vie des pauvres gens. Sans ressources, seule et isolée, Cetta n’a pas d’autre choix que de vendre son corps dans l’un des nombreux bordels de la ville. Son univers se résume à peu de choses : un quartier, le Lower East Side, un petit appartement sordide qu’elle partage avec un couple de vieux Italiens, son souteneur (secrètement amoureux d’elle) et son fils, petit trublion à la gueule d’ange et à l’énergie débordante. Son seul credo : l’intégration à tout prix.  Devenir Américain, Cetta n’a que ces mots à la bouche et ne cesse de les marteler à Christmas tout au long de son enfance. Mais dans cette partie populaire de la ville où les immigrés italiens et irlandais se disputent le territoire et le travail, Christmas a surtout de bonnes chances de finir voyou, jusqu’au jour où son destin croise celui de la jeune Ruth. Elle, vient des quartiers chics de Manhattan. Issue d’une riche famille juive new-yorkaise, Ruth s’ennuie de cette vie facile et fade que confère l’argent. Ses parents s’intéressent peu à sa personne et il n’y a guère que son grand-père, un personnage à la force de caractère peu commune, avec qui elle puisse avoir une relation riche et digne d’intérêt. Les destin sera pourtant impitoyable envers Ruth. Abusée, violée et même mutilée par un employé de ses parents peu scrupuleux (un psychopathe qui s’ignorait jusqu’à présent), Ruth est laissée pour morte. C’est Christmas et l’un de ses amis qui découvriront son corps meurtri sur le bord de la route et entre eux débutera une relation puissante, capable de renverser les barrières imposées par la sociétés et les différences de classe.


Prenant, plaisant, passionnant à l’occasion, Le gang des rêves est assurément un bon livre, avec des qualités de narration évidentes, un sens du rythme maîtrisé et une certaine capacité à émouvoir le lecteur. Oui mais voilà, le roman souffre néanmoins de menus défauts qui ne l’empêchent pas d’être une lecture à conseiller, mais certainement pas un des romans majeurs de ces dix dernières années. D’abord parce qu’il n’évite pas certaines longueurs, ensuite parce que l’auteur sombre parfois dans la facilité tant sur le plan de l’écriture que dans la caractérisation des personnages. Énonçons-le clairement, cette tendance qui consiste à rendre le monde de la pègre éminemment romanesque aurait pu fonctionner à plein régime si l’auteur avait quelque peu modéré sa tendance à l’emphase et son utilisation immodérée des clichés. Je n’ai rien contre les stéréotypes, ils ont le mérite de faire rentrer facilement le lecteur dans un univers, mais chacun sait que toute forme d’abus risque de contrecarrer l’intention initiale. A trop exagérer, on finit par perdre l’adhésion du lecteur et à trop vouloir rendre les truands new-yorkais sympathiques, Luca Di Fulvio les réduit à des caricatures manichéennes et sans contraste. Malgré tout, le roman de l’écrivain italien fonctionne bien, grâce à ses personnages attachants et pleins de vie, mais aussi et surtout grâce à leur capacité à susciter l’émotion. Il y a des romans durs et terriblement déprimants, mais en dépit des premiers chapitres très sombres du roman Le gang des rêves réussit l’exploit d’être résolument optimiste et c’est probablement cette énergie positive qui finit par l’emporter au final.

EmmanuelLorenzi
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le 8 janv. 2019

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