Ce roman de 50 chapitres suit le projet d'investissement d'un entrepreneur malais des années 1960, Muhammad bin Idriss, associé à un riche exporteur chinois, Tan Lon Seng. Directeur d'une filiale d'exportation de poivre noir, il délègue au père de sa secrétaire, Siyed Aris, l'ouverture d'une nouvelle plantation du côté de Johor (la côte sud face à Singapour), tandis que lui-même, poussé par Tan, veut rouvrir les mines d'étain qui étaient autrefois exploitées par les Australiens. Mais cela implique d'exproprier les habitants de son village natal, Kampung Pulai. Dès lors, il se livre à des manoeuvres toutes en douceur pour que les paysans partent sans faire d'histoire. Son projet de mine à ciel ouvert reste secret. Il négocie avec le gouvernement la création d'une nouvelle plantation pionnière, où pourront aller les anciens (les jeunes préfèrent partir à Kuala avec l'argent de leur indemnisation). Comme l'imam rechigne à partir, il fait libérer un poste d'imam dans le village d'à côté, Pekan Tualang. Il donne des fêtes qui donne une image généreuse de sa personne. Il y a bien des résistances, comme Lebai Maarup, un jeune musulman qui n'a pas envie de partir, qui a appris pour la mine, et qui se fait tabasser par la brute locale, Mat Akil, entretenu par Muhammad. A la fin, les projets de Muhammad sont parfaitement en voie, et il prend un tour assez arrogant, mais Lebai Maarup lui fait perdre la face en connaissant mieux que lui le devenir de son exploitation minière. Finalement, l'entrepreneur accepte de garder en wakaf (donation religieuse inaliénable) les terres de Maarup et de quelques autres pour faire des logements et une mosquée pour ses futurs ouvriers. Il se réconcilie aussi avec son fils, qui a étudié à l'étranger et fait la forte tête.

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Dieu, qu'il a été dur au début, ce livre ! L'onomastique malaise est très déroutante, et le goût de l'auteur pour le rappel des filiations embrouillait et alourdissait une histoire qui, déjà, n'est guère enthousiasmante : un riche entrepreneur s'entretient avec un grand nombre d'intermédiaires pour faire mûrir son projet de développement. Je partais en me disant que c'était probablement un des livres les plus plats que j'aie jamais lu.

Mais au bout du compte, le jeu en valait la chandelle, car ce roman est très riche au niveau moral. On commence par apprécier ce personnage d'entrepreneur qui veut prouver que les Chinois n'ont pas le monopole du sens commercial, qu'un Malais aussi peu réussir. Puis, vers le milieu du livre, on se rend compte que son projet va détruire une communauté, qui n'est pas du tout consciente de ce qui se passe. Dès lors, le récit se focalise plutôt sur Sudin, l'intermédiaire de Muhammad au village, et ses cas de conscience, entre volonté de réussir en servant son maître, envie d'arrondir les angles, petites lâchetés et illusions.

Je ne sais pas si je l'ai bien compris, mais il me semble que le livre joue sur le dualisme lié au progrès, à la volonté de développement de la Malaisie après-guerre. Ce qui, sorti de son contexte, semble des tartines assez naïves sur la coexistence des différentes ethnies de Malaisie s'avère l'esprit d'une époque, que Mas retranscrit comme un greffier. Une époque d'abondance et de changements agressifs, bref la fin des années 1950.

On ne voit pas tant que ça la communauté villageoise de l'intérieur : ce n'est pas du Zola, du réalisme social, même s'il y a beaucoup de références à la culture matérielle malaise (vêtements, coutumes, diplômes...). L'auteur est plutôt attaché aux attitudes, aux politesses calculées, aux sous-entendus. C'est un peu comme dans "Dune", au fond : l'histoire n'avance pas, mais ce sont les calculs immédiats qui traversent l'esprit des personnages qui donnent son énergie au récit. On a simplement une impression de patauger un peu sur la fin, mais ça fait partie de l'expérience de lecture, cette idée que le changement ne se fait qu'à coups de manoeuvres, d'égo dissimulé...
zardoz6704
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le 1 déc. 2014

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