Le Horla m'a prouvé encore une fois la pluralité de l'œuvre de Maupassant, et je dois avouer avoir été agréablement surprise de relire cette nouvelle saisissante qui, il me semble, tranche beaucoup avec le reste de ce que Maupassant a pu écrire. Ce qui n'était qu'un récit fantastique s'est avéré être une prophétie clairvoyante, et cette fiction est désormais intégrée à la biographie de son auteur, devenu lui même fou sur la fin de sa vie, rongé qu'il était par la syphilis.
Ce journal intime, tenu par acquis de conscience pour se persuader qu'il reste encore suffisamment de raison pour créer, est le récit d'un homme qui sombre pas à pas dans la folie, que l'on accompagne dans sa descente aux enfers jusqu'au point culminant de ce délire qui le fera incendier sa maison pour essayer d'en chasser le mystérieux intrus. Le récit s'arrête pile quand on aurait voulu que cela continue, à la manière d'un feuilleton bien ficelé ; on devine le narrateur désormais trop atteint, ne serait-ce que pour écrire : libre à nous de s'imaginer son délire, on peut dorénavant se l'approprier.
Car Le Horla, c'est la part de dégénérescence que chacun porte enfoui en soi, que l'on entrevoit étant enfant lorsque l'on est persuadé d'avoir quelqu'un sous son lit, puis qu'on rencontre plus tard quand une forte fièvre nous fait quelque peu délirer. La croyance en l'être invisible, omnipotent et immortel est un fantasme, ou au moins un cauchemar qu'a chacun. Et l'affirmation de son existence — et de son écrasante supériorité — rend incrédule le narrateur au sujet de la condition humaine : si en effet l'être humain n'a même plus les pleins pouvoirs sur lui-même, rien alors ne peut arbitrairement gouverner quoi que ce soit ; « à présent, je sais ; je devine. Le règne de l'homme est fini. ». Ne serait-ce pas finalement l'acceptation d'un dieu, d'un diable ou du moins d'un ange gardien que ce Horla démiurgique qui plane sur l'existence et affecte notre individualité d'être humain?