Conte à rebours
Le Jardin est un roman psychologique (mais pas que !), aux accents vaguement proustiens si l'on voudra, publié par Bassani en 1962. S'ouvrant sur la double description de monuments funéraires, celui...
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le 3 août 2025
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Le Jardin est un roman psychologique (mais pas que !), aux accents vaguement proustiens si l'on voudra, publié par Bassani en 1962.
S'ouvrant sur la double description de monuments funéraires, celui d'une famille juive de Ferrare – dans le nord, pas très loin de Bologne – et un reste de cimetière étrusque, le roman pose comme contrat à son ouverture son désir et son besoin de revenir rétrospectivement sur la destinée ordinaire d'une famille, essentiellement disparue dans les camps, qui aura marqué la conscience émotive du narrateur en même temps qu'elle se fait métonymie de l'inscription violente de l'Histoire dans la constitution italienne. On suivra concrètement, sur un peu moins de 400 pages, les liens qui unissent le narrateur à cette famille des Finzi-Contini qui orne le titre de l’œuvre et la manière dont ces interactions sociales dans deux niveaux de bourgeoisie juive de la belle époque créent une identité, intime et artistique.
Ce qui marche très bien dans le roman, et lui confère une patine particulière au sein d'une bibliographie tout de même conséquente que la bonne société juive aime à se consacrer dans ces années-là, c'est la façon dont il structure son récit comme une tragédie molle et lente rendue terrible par son inéluctabilité intransigeante. On sait dès l'ouverture du livre qu'Alberto, les parents Finzi-Contini, Micol, l'amour contrarié du narrateur, sont destinés à périr dans des conditions déplaisantes et ce point final donné à leur potentialité dramatique nous est posé avant toute autre caractéristique pour les identifier. On connaît ces personnages comme des morts avant de les découvrir souffrant ou passionnés, dans un renversement du sablier qui ne tient pas qu'à la technique somme toute banale du flashback. Au fur et à mesure que le narrateur vieillit et que de discrets repères temporels se profilent, on voit arriver de plus en plus nettement le début des années 40 qui, on le sait, marquera le couperet pour tous ces personnages qui ne nous sont jamais posés qu'en sursis, qu'en attente d'exécution. Cela donne à la structure de la narration quelque chose de cruel refusant de s'exhiber, mais que l'on ressent intimement à la lecture, comme si le fait de parcourir les pages nous faisait, en tant que lecteur, complice patient et progressif de la mise à mort de ces personnages privés peu à peu au fil du récit de plusieurs de leurs droits en vertu des « lois raciales », je cite, qui s'imposent par degrés en Italie fasciste le long de ces décennies.
Outre cet effet de construction très agréable, le roman peut paraître plus conventionnel à côté dans sa volonté de peindre les atermoiements d'un jeune narrateur peinant à se positionner, dans ses affaires et dans son cœur, au cours de ce qui pourrait sembler être un roman d'initiation si son contenu dramatique n'avait quelque chose de si dolent. On reste dans une tradition psychologico-réaliste, assez typique de ce que les écrivains conventionnels auront retenu d'un XIXe modernisé, mais embelli par un talent de description tout à fait notable, largement convoqué par un auteur au demeurant poète. Bassani n'invente probablement rien au type d'intrigue, assez nourrie de sa propre jeunesse paraît-il, dont il s'empare, mais c'est effectué avec une rigueur artisanale tout à fait satisfaisante.
Retenons tout de même comme dernier élément à porter au crédit de l'ouvrage son envie constante de faire dialoguer les dialectes, dans un roman où expressions familières, sociolectes, parlers juifs, régionalismes et autres langages initiés s'entremêlent constamment dans une grande chorale des identités qui se cherchent. Refusant de reconnaître ces personnages de juifs (qui se divisent eux-mêmes entre eux selon leur classe, leur tradition hispanisante, européenne de l'est ou italianisante etc) comme des citoyens pourtant profondément marqués par leur ancrage dans la terre spécifique de Ferrare, le roman traduit tout ce que l'antisémitisme mais aussi le collage ambivalent de l'Italie dans sa constitution ont de singulier dans leur manière de faire territoire et de faire nation. Cela donne un arrière plan linguistico-politique des plus riches au roman, et qui fait regretter de ne pas parler italien pour en capter le plus de subtilités possibles. Notons un travail de traduction tout à fait intéressant qui s'efforce autant que possible de maintenir en langue originale ces différents emprunts pour ne les traduire qu'en note, le français couvrant donc dans le texte l'emploi par Bassani de l'italien standardisé.
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le 3 août 2025
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Le Jardin est un roman psychologique (mais pas que !), aux accents vaguement proustiens si l'on voudra, publié par Bassani en 1962. S'ouvrant sur la double description de monuments funéraires, celui...
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le 3 août 2025
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Roman tout en finesse qui traite des premiers émois amoureux de jeunes gens, Micol la jeune fille et le narrateur, issus de la haute bourgeoisie juive de la ville italienne de Ferrare dans la période...
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