Investi par le désir de faire une "œuvre totale", semblable au Moby Dick de Melville, Jack London réalise avec le Loup des mers un véritable essai de philosophie sous fond de roman initiatique.
Pourtant, le Loup des mers raconte avant tout une aventure qui ne manque pas de panache. Le protagoniste, Humphrey, un intellectuel raffiné et habitué des mondanités propres à son métier de critique littéraire, se retrouve embarqué de force dans une goélette de chasseurs de phoques. Le ton est donné dès les premières pages.
Sur la goélette, répondant au doux nom du "fantôme", les journées se suivent, mais ne se ressemblent pas et le danger se trouve à chaque instant, qu'il provienne de la mer ou des membres de l'équipage. Humphrey souffrent atrocement de sa nouvelle condition, mais va faire preuve d'une adaptabilité remarquable compte tenu de sa méconnaissance totale du métier lors de son arrivée. Les compagnons de Humphrey, tous plus vrais que nature, possèdent chacun un caractère bien trempé.
Mais le roman, comme son titre l'indique, est avant tout centré sur un personnage terrible ; celui du capitaine de la goélette : le redouté Loup Larsen. Une brute qui se moque de la morale et des principes d'Humphrey, et ne suit que son propre instinct, animé du désir de vivre coûte que coûte. Humphrey est d'autant plus déstabilisé en travaillant sous les ordres d'un tel capitaine que celui-ci se révèle d'une grande érudition. En effet, sous ses airs rustres, le capitaine est également un homme cultivé qui justifie sa brutalité par une vision du monde sans concession, dans laquelle les forts ont raison, car ils sont forts, et les faibles ont tort parce qu'ils sont faibles. Les convictions humanistes d'Humphrey s'en trouvent rapidement ébranlées au contact d'une telle doctrine.
Ce sont donc deux mondes qui s'opposent : l'idéalisme d'Humphrey et le rationalisme froid et individualiste de Loup Larsen. Les débats incessants, aux tournures philosophiques, donneront de la substance aux cruautés qui se succéderont tout au long du voyage de la goélette vers les baies japonaises.
L'irruption inattendue d'une femme, au milieu du récit, loin d'être une simple tentative d'inclure une histoire d'amour, viendra accentuer l'affrontement entre les deux hommes, et leurs idées.
Pour conclure, je donne un beau 8/10 à ce roman haletant et inspirant, qui vient questionner nos valeurs profondes face au principe de réalité, une certaine forme de pragmatisme. London n'ayant pas cherché à pencher d'un côté plutôt que l'autre, j'en conclus qu'il n'existe pas d'absolu en la matière.