Quand sociologie et pédantisme ne font qu'un...

Bon, je préviens d'avance, je fais rarement dans la demi-mesure, y a qu'à voir la gueule du statut que j'ai posté sur ce bouquin. Pour autant, comme j'essaie (du mieux que je peux) d'adopter une démarche rationnelle avec tout ce qu'est censé être scientifique, je l'ai intégralement fiché, paragraphe par paragraphe, en ne conservant seulement que sa substantifique moelle, c'est-à-dire son contenu argumentatif.


Mais voilà, il est là le problème : adopter une démarche rationnelle avec ce bouquin, croyez-moi, ça n'a pas été de la tarte. Pour en retirer quelque chose, il a fallu le dégraisser de son style ampoulé et pédant, mettre de côté toutes ses envolées lyriques, qui nuisent gravement à sa compréhension. Sans parler des milliards de références inutiles aux propos, toutes issues de la culture consacrée, et dont la présence ne sert qu'à satisfaire l'égo surdimensionné de ses lecteurs (ou de ses auteurs ?). Oui parce que, dans leurs esprits étriqués de bourgeois, reconnaître une référence (superficielle) à une oeuvre littéraire ou artistique, c'est là le signe de sa supériorité. Pourtant, comme Bourdieu et Passeron me l'ont eux-mêmes appris, quand une référence élitiste n'ajoute rien à un propos, sa mention n'est qu'un instrument de domination des classes supérieures.


Ce sont aussi ces deux auteurs, qui, par-dessus le marché, préconisent au monde universitaire d'adopter la pédagogie rationnelle. En effet, dans leur ouvrage Les Héritiers (1964), ils expliquent que si l'on veut lutter contre les inégalités sociales à l'Université, ce n'est pas suffisant de réduire les inégalités matérielles. Le plus important, selon eux, est que l'enseignement du contenu académique ne soit pas parasité par des références superficielles à la culture élitiste, et surtout, qu'il ne soit pas nécessaire d'en faire étalage pour obtenir de bonnes notes.


Mais alors comment expliquer qu'ils tombent avec autant de lourdeur dans les travers qu'ils dénonçaient eux-mêmes ?


C'est marrant, hein, on retrouve là le classique coup du "fais ce que je dis mais pas ce que je fais". Pris la main dans le sac, contraints de se justifier, j'imagine qu'ils me répondraient : "Ouais ben faut bien qu'on s'installe dans le milieu, qu'on en jette aux bourges qui vont nous lire ! Pour avoir l'air d'un normalien, faut se la jouer comme Foucault et compagnie ! C'est comme ça, poulette !" Je vous laisse libre de juger de la vraisemblance d'un pareil dialogue.


Alors voilà, à la fin de cette lecture, votre humble serviteur était sur les nerfs : qu'est-ce que foutent autant de références inutiles dans un livre, censé fonder l'épistémologie d'une discipline ? Pourquoi des phrases si longues, si mal écrites, si alambiquées inutilement ? Est-ce qu'Einstein, Durkheim ou Darwin s'expriment dans un style aussi prétentieux (et laid) lorsqu'ils formulent des théories beaucoup plus complexes que celles défendues par ce bouquin ?


Oui, parce que le pire, le summum de l'anarque, c'est que nos trois auteurs laissent croire à leurs lecteurs que si ce bouquin est inacessible, c'est en raison de la complexité du propos. Pourtant, désolée de vous décevoir, mais si on bite pas grand chose, c'est parce qu'un ""style"" pareil, c'est indigeste. Je mets bien des guillemets au mot "style" parce qu'écrire comme un connard de khâgneux en mal de reconnaissance, pour moi c'est la marque d'une bêtise plus que de la maîtrise de l'art littéraire.


Voilà, voilà, ça m'a bien mise en rogne de consacrer plus de temps à déchiffrer des phrases dégueulassement écrites que d'en comprendre le sens, pas si compliqué que ça. Le ratio "temps de déchiffrage / contenu intellectuel retiré" était vraiment trop bas. Donc j'ai boudé longtemps ce bouquin.


Pourtant... Pourtant. Je dois dire que j'y reviens souvent, et qu'en fin de compte, je ne peux me résoudre à le laisser de côté. Maintenant que le temps de la colère est passé, je dois le reconnaître, il est chouette ce livre. Il est bien construit, il offre un véritable cadre épistémologique à la sociologie, et il m'a permis de mettre des mots à de nombreux problèmes dans le monde universitaire de cette discipline.


Je vous recommande de le lire, mais en appliquant, sincèrement, les principes de "vigilances épistémologiques" qu'ils y défendent, et en se disant qu'un sociologue n'est jamais à l'abri des travers dénoncés dans ce livre. Oui, car même la réflexivité peut se routiniser, il faut donc toujours rester attentif...

AssiaHa
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le RIC des Gilets jaunes. Mémoire de sociologie politique.

Créée

le 11 mai 2020

Critique lue 264 fois

6 j'aime

2 commentaires

Assia Ha

Écrit par

Critique lue 264 fois

6
2

Du même critique

Le Savant et le populaire
AssiaHa
3

Une torture...

Si le terme de torture est sans doute excessif pour décrire le rapport que j'ai entretenu avec cette lecture, je dois avouer qu'il s'en approche. La vallée des larmes Disons que ce livre incarne de...

le 6 août 2020

7 j'aime

4

L'Éthique aujourd'hui
AssiaHa
8

Faut pas pousser mémé dans les orties !

Finalement, une oeuvre sous notée, c'est encore plus agaçant qu'une oeuvre surcotée. Je prends donc la plume, et je décide de défendre publiquement ce petit livre de Ruwen Ogien. Rentrons direct...

le 3 nov. 2019

6 j'aime

Le Métier de sociologue
AssiaHa
4

Quand sociologie et pédantisme ne font qu'un...

Bon, je préviens d'avance, je fais rarement dans la demi-mesure, y a qu'à voir la gueule du statut que j'ai posté sur ce bouquin. Pour autant, comme j'essaie (du mieux que je peux) d'adopter une...

le 11 mai 2020

6 j'aime

2