Le Monde comme il va
6.8
Le Monde comme il va

livre de Voltaire (1748)

Histoire de dire que c'est ni Paris ni un essai : un petit conte oriental

Lu en Mars 2021. Édition Folio. 6,5/10
Une fois n’est pas coutume, ce conte de Voltaire prend place en Orient, précisément en Perse. Babouc est envoyé par l’ange Ituriel pour juger de la société soi-disant décadente qu’est Persepolis (Métaphore de Paris). Il doit lui faire un compte-rendu pour décider si l'ange doit ou ne doit pas détruire la ville.


Comme toujours chez Voltaire il s'agit d'un conte qui met en exergue l'absurdité du monde. D’emblée il critique l’absurdité de la guerre. Mais surtout il met en évidence cette absurdité en montrant à quel point le sublime et le tragique peuvent se côtoyer. Comment des humains peuvent d'égorger comme des bêtes féroces bien que leur ville soit un miracle d'architecture ?


Ainsi, au cours du petit texte de 40 pages, il y a une alternance dans le jugement de Babouc, un chapitre il s'extasie et veut protéger la ville, celui d'après il est horrifié et veut la détruire. Chaque chapitre est porteur d’un thème qui passe en revue de nombreuses critiques qu’on peut faire la société de cours à l’époque de Voltaire.
Chap 5 : Critique de la noblesse de robe et de la ploutocratie. Chap 6 : Éloge du capitalisme à l'anglaise. Chap 7 : Critique des congrégations religieuses. Chap 8 : Critique des flatteries de cour, misérablement opportunistes. Chap 9 : Les institutions idiotes sont un mal nécessaires en cela qu'elles s'équilibrent en se repoussant. Chap 10 : Le mieux est l'ennemi du bien. Le relativisme philosophique s'oppose au pragmatisme de la vie réelle. Finalement les 4 derniers chapitres permettent à Babouc de prendre du recul sur la situation. P43 : « Il vaut mieux laisser aller le monde comme il va. Car si tout n'est pas bien, tout est passable. ».


Je ne suis pas certain de comprendre pourquoi Voltaire conclut aussi magnanimement. Est ce un genre de "L’essentiel est invisible pour les yeux" qui suggère qu’il est nécessaire de se plonger dans la réalité profonde du monde avant de le condamner ? Ou bien est ce un moyen d'éviter la censure ou une condamnation après avoir, de toute façon, explicité les éléments qui n'allaient pas ?


En tout cas c'est un gentil petit conte et une belle métaphore des problèmes de cour de son époque, bien qu’il ne m’ait pas autant touché que Micromégas ou Candide et que le format du conte aurait pu être mis de côté pour un véritable essai qui aurait laissé plus de place à l’argumentation. Et rien n’aurait empêché de finir sur ces mots plein d’esprit : « quand on a été trois jours dans le corps d’une baleine, on n’est pas de si bonne humeur que quand on a été à l’opéra, à la comédie, et qu’on a soupé en bonne compagnie. »


« Il [Babouc] s’adressa d’abord à un soldat qu’il trouva écarté. Il lui parla, et lui demanda quel était le sujet de la guerre. « Par tous les dieux, dit le soldat, je n’en sais rien. Ce n’est pas mon affaire : mon métier est de tuer et d’être tué pour gagner ma vie ; il n’importe qui je serve. Je pourrais bien même dès demain passer dans le camp des Indiens : car on dit qu’ils donnent près d’une demi-drachme de cuivre par jour à leurs soldats de plus que nous n’en avons dans ce maudit service de Perse. Si vous voulez savoir pourquoi on se bat, parlez à mon capitaine. » (chap 1, p14)


« On vous a trompé quand on vous a dit que je vous avais vendu ce que vous avez pris chez moi quatre fois plus qu’il ne vaut : je vous l’ai vendu dix fois davantage, et cela est si vrai que, si dans un mois vous voulez le revendre, vous n’en aurez pas même ce dixième. Mais rien n’est plus juste ; c’est la fantaisie des hommes qui met le prix à ces choses frivoles ; c’est cette fantaisie qui fait vivre cent ouvriers que j’emploie ; c’est elle qui me donne une belle maison, un char commode, des chevaux ; c’est elle qui excite l’industrie, qui entretient le goût, la circulation, et l’abondance. Je vends aux nations voisines les mêmes bagatelles plus chèrement qu’à vous, et par là je suis utile à l’empire. » (chap 6, p29)


« Conservez-nous, et détruisez toutes les autres » (chap 7, p30)

Arimaakousei
6
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le 13 mars 2021

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Arimaa_kousei

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