J'ai glissé "Le passé simple" dans mon sac à l'occasion de mon premier voyage au Maroc, espérant y trouver à la fois une lecture divertissante et une clé de compréhension de ce pays que je connais finalement assez peu. Malgré une déception relative, je pense que cette œuvre reste pertinente pour appréhender une période charnière de l'histoire marocaine et son rapport complexe à la modernité.


Si le roman de Chraïbi s'est imposé comme une œuvre majeure de la littérature maghrébine, il me semble que son importance historique éclipse ses faiblesses littéraires. L'écriture m'a souvent paru laborieuse, parfois opaque. J'ai buté sur des passages entiers, me demandant si cette difficulté était délibérée ou simplement le fruit d'une plume engoncée dans un certain formalisme. J'avoue ne pas comprendre les critiques dithyrambiques sur l'écriture de Chraïbi dans ce roman et sa maîtrise supposée du langage. J'imagine que chaque sensibilité est différente et qu'il est inutile de chercher bien plus loin.


Ce qui m'a particulièrement gêné sur le fond, c'est l'absence d'évolution du protagoniste. On découvre Driss déjà formé dans sa contestation, sans accéder à la genèse de sa révolte. Ses longues diatribes contre son père ou les figures religieuses m'ont semblé peu vraisemblables - non par leur contenu, mais par l'impunité dont il jouit après les avoir prononcées. Je peine à croire que dans le Maroc des années 50, de tels défis lancés à l'autorité n'auraient pas eu de conséquences bien plus immédiates et violentes. Ses changements d'avis et de positionnements au cours du roman me sont apparus tout aussi artificiels et peu lisibles.


Par ailleurs, la structure du roman empruntée à la chimie m'a paru artificielle, comme un clin d'oeil aux études de l'auteur sans intérêt narratif ou littéraire réel. De même, la scène finale avec le Sultan ne m'a pas convaincu, apparaissant presque grotesque et semblant servir davantage un propos politique qu'une conclusion organique à l'histoire de Driss.


Je comprends néanmoins pourquoi ce roman a fait scandale à sa sortie. Critiquer aussi frontalement la société marocaine traditionnelle et patriarcale à l'époque du protectorat relevait de l'audace. Dénoncer le racisme d'une société française qui bafoue sa propre devise nationale et s'avère incapable de tendre la main à ceux qui souhaitent ardemment s'y intégrer est tout aussi salutaire et conserve une certaine actualité même en 2025. Cette importance historique et sociologique suffit-elle à faire oublier les faiblesses littéraires de ce roman ? Je ne le crois pas.


"Le passé simple" demeure un témoignage intéressant sur les tensions identitaires d'un pays et d'une génération littéralement piégée entre tradition et modernité, entre Orient et Occident. Je salue à ce propos la conclusion tout en nuances de Chraïbi qui ne défend pas une école contre l'autre. Mais en tant qu'œuvre littéraire, ce livre m'a laissé sur ma faim de par son écriture inutilement complexe et hachée, qui a rendu cette expression de lecture assez peu plaisante. On ne peut ignorer toutefois quelques fulgurances indéniables qui laissent entrevoir le talent que Chraïbi aura probablement développé plus pleinement dans ses œuvres ultérieures.

ZachJones
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le 1 mai 2025

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Zachary Jones

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