L'intrigue du Portrait de Dorian Gray est originale : un beau jeune homme, Dorian Gray, à qui l'on a fait comprendre à quel point sa beauté et sa jeunesse sont ce qu'il y a de plus précieux, jure qu'il préfèrerait qu'un tableau merveilleux qu'a fait de lui le peintre Basil Hallward vieillisse plutôt que sa propre personne.
« Si c’était moi qui toujours devais rester jeune, et si cette
peinture pouvait vieillir !... Pour cela, pour cela je donnerais tout
!... Il n’est rien dans le monde que je ne donnerais... Mon âme, même
! »
Ce qu'il y a de plus délicieux encore dans ce roman est la psychologie des personnages d'une richesse saisissante, les dialogues prouvant le génie d'Oscar Wilde, et une description de la haute société anglaise de la fin du XIXème siècle.
1) Les personnages
La psychologie des personnages est au centre de l'intrigue, puisqu'elle n'est que la mise en scène d'une décadence d'une âme initialement pure, tombée dans les mains d'un hédonisme incontrôlé, d'un dandysme superficiel.
Lord Henry représente tout à fait cette société superficielle qui n'a pour quête que les plaisirs, et le rejet de toute forme de carcan. Un dandy maniant les mots à la perfection, amoureux de la psychologie, et addict à l'influence qu'il peut exercer sur les autres par de simples aphorismes dont il a le secret. Tentateur intelligent, habile intriguant, il est sans morale ni limite : il pourrait affirmer une chose puis son contraire tant que cela lui permettrait d'impressionner son interlocuteur. Cynique, tous ses propos sont légers, semblent ironiques, provocateurs et fins. Il a quelque chose de démoniaque en lui tant son indifférence aux pires maux le caractérise.
Ainsi, lorsqu'on apprend que Sybil Vane s'est suicidé ou que son frère est mort tué lors de la chasse, il ne fait part d'aucune tristesse. Au contraire, il ne faut pas ébruiter l'évènement, cela pourrait nuire à la bonne humeur de chacun. Après tout, c'est de leur faute s'ils sont morts. Il en est de même lorsqu'il apprend la mort de Basil.
Ce détachement froid pour ce qui ne mérite son intelligence montre toutes les limites du personnage, qui devient de plus en plus inhumain à mesure que son indifférence reste la même alors que des évènements dramatiques surviennent.
Basil Hallward, pourtant son ami en début de roman, est bien différent. Artiste de génie, il connaît trop son ami Lord Henry pour lui laisser approcher l'âme pure et fascinante qu'est celle de Dorian Gray. Plein de scrupules, sensible à la douleur, inconfortable face au mal et l'immoralité, il semble bien plus limité et craintif, moins puissant que Lord Henry. Homme vertueux, il est tourné en dérision pour sa faiblesse intellectuelle, sa dévotion pour des principes qui n'ont pas lieu d'être. La scène où malgré les années, il supplie Dorian de tout lui raconter est saisissante.
Amoureux de Dorian Gray, il ne se relèvera pas de l'influence qu'a exercé Lord Henry sur son protégé.
Enfin, Dorian Gray : l'image d'un homme brillant, magnifique, corrompu par Lord Henry : il est l'archétype de l'adolescent brillant à qui la vie ouvre toutes ses portes, dont il choisit les plus séduisantes : fréquenter les meilleurs milieux, soirées mondaines, s'adonner aux plaisirs de la chair, s'éloigner de toute complication de la vie, vouer un culte à la beauté éternelle, céder à tous ses caprices, sous la direction de son maître à penser. L'égoïsme est ce qui va le caractériser, comme son maître à penser. Sa relation avec Sybil est éloquente. Il ne l'aime pas pour qui elle est, il aime pour ce qu'elle apporte, pour son art.
Sa mort ne lui apportera qu'une tristesse superficielle, comme celle de Basil. Il ressentira une indifférence similaire lorsqu'il croisera tous ceux qu'il a corrompus, les filles qu'il a déshonorées et les hommes qu'il a mené au plus bas.
Il est obsédé par sa propre jouissance, son bien être.
Dans ce contexte, sa rémission à la fin du roman est intéressante, mais celle-ci est forcée : s'il affirme qu'il ne veut plus porter atteinte à l'innocence, il ne s'agit pas d'une résolution profonde et son portrait marquera désormais la trace de l'hypocrisie.
2) Le roman
Le roman met beaucoup en scène la bourgeoisie anglaise, loin, tellement loin des réalités de la vie d'une majorité d'anglais. On y baigne dans la superficialité, on se noie dans un monde où l'image renvoyée est plus importante que ce qu'on est. Le personnage de Gladys est fort intéressant : fascinante par son intelligence, elle est le seul personnage qui parvient à allier morale et élégance, bien qu'elle fréquente des personnages dont elle semble ne rien avoir en commun.
L'hédonisme est le maître-mot du roman. Dorian et Lord Henry vont de plaisir en plaisir, consomment mondanités autant que les amitiés. Pour ces raisons, le roman fut mal reçu pour son immoralité. Ceci amena Oscar Wilde, lors de sa publication, à ajouter en début de roman une préface faite d'aphorismes pour répondre aux critiques d'immoralité : la littérature est un art, et l'art est selon lui dénué de toute morale. Aujourd'hui, à l'époque où Houellebecq est en tête des vente, le lecteur sera certes moins choqué par l'ouvrage.