Il y a quelques semaines de ça je me suis décidé à m'inscrire à la nouvelle médiathèque pas très loin de chez moi. Motivé par mes éclaireurs qui ne cessent de me narguer en notant, critiquant et conseillant de nombreux ouvrages littéraires. Motivé aussi par une envie insatiable de lire, moi qui n'ai plus ouvert un livre depuis de nombreuses années alors qu'à une époque j'en consommait deux à trois par semaine. Motivé enfin par mon fils à qui j'ai du faire la lecture des aventures de Tchoupi, Popi et autres héros finissant par -pi au moins une cinquantaine de fois. Nous voici donc partis tous les deux, un beau matin de la fin du mois de novembre, en direction de ce lieu de culture, moi excité par l'idée d'améliorer la mienne et lui par l'idée de sortir avec son paternel. Je vous passe les détails sur les multiples tentatives de stationnement sur le trop petit parking de la médiathèque, de la montée des marches rendues glissantes par l'orage nocturne ou encore du remplissage du formulaire d'inscription pendant que l'héritier avait décidé de se lancer dans l'arrachage de toutes les affiches à sa portée. Je ne sais pas si certains d'entre vous ont déjà essayé de se rendre dans un lieu de calme et silence avec un enfant de deux ans mais pour moi ce fut sans nul doute l'heure la plus stressante de ma vie. Monsieur a couru, crié, s'est caché, a caché des livres, est monté sur les fauteuils, a tenté d'ouvrir les issues de secours et finalement essayé de séduire une jeune fille un peu plus âgée que lui qui ne semblait pas être intéressée. En désespoir de cause et pour mettre fin au calvaire des quelques habitués présents, je choisis donc au hasard un livre dans la catégorie "Roman adultes" qui s'intitulait "Le rapport de Brodeck". Oui car si ce livre s'était appelé "Au bonheur des dames" ou "Le Horla" cette critique n'aurait rien eu à faire ici. Vous allez me dire justement que la suite a intérêt à être bien parce que l'intro est balaise. J'y viens. Tout ça pour dire que "Le rapport de Brodeck" fait partie de ces œuvres qui vous permettent de relativiser ces petites galères du quotidien. Parce que finalement je suis né au bon moment et au bon endroit. Pas à Alep, à Jérusalem ou à Pyongyang. Je n'ai jamais eu à choisir un camp pour ma survie ou celles de mes proches. Toutes ces horreurs que je vois à la télé je m'y intéresse et j'essaye d'aider comme je le peux. Mais le héros de Philippe Claudel, lui, il a vécu tout ça : l'humiliation, les meurtres, les viols. Dans le train l'emmenant vers l'enfer des camps de concentration ou dans son village niché dans les montagnes. Avec des inconnus en tenues militaires ou des voisins partageant un verre au bar. Victime ou coupable. Car il est les deux. Car nous sommes les deux. Jamais tout blanc ou tout noir mais bien souvent gris. Car c'est cela que raconte Philippe Claudel. A la fin de notre vie, au moment de faire le bilan, de quoi se souviendra-t-on ? Choisirons-nous d'oublier ces moments de faiblesses et de nous rêver en "bonnes personnes" ? Ou serons-nous honnêtes et reconnaîtrons-nous nos torts et d'avoir fermer les yeux sur certaines inhumanités ? Brodeck, le personnage principal cette histoire, fait bien évidemment partie de ces derniers et pour lui le chemin sera ardu, tortueux et complexe. Et quand viendra le moment des choix, il optera pour le chemin ardu, tortueux et complexe. Car c'est le seul qu'il connaisse, celui de l’honnêteté. Comme il le dit lui-même : "Je te dis que de l'horreur naît parfois la beauté, la pureté et la grâce". Demain matin je retourne à la médiathèque avec mon fils. J'espère quand même qu'il sera un peu plus calme.

BordenAlfred
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le 16 déc. 2016

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Alfred Borden

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