C’est simple, un citadin se rend sur une île en mémoire de son père au prétexte d’un travail saisonnier. Une fois sur place il va essayer de poursuivre les rêves de ce dernier en tentant de produire du fromage, ce qui n’est pas au goût de la population locale.
Le pitch n’est pas spécialement pour me plaire. Ça a l’air mélancolique et je suis pas spécialement fan de fromage. La combinaison des deux semble plat. L’éventualité de confrontations avec la populace est ce qui m’a fait tiquée « trouble in paradise » et parce que les autres livres dans la boîte à livres étaient clairement de la merde.
Grand bien m’en a pris !
Déjà tout l’aspect de la vie insulaire sur un si petit territoire, le fonctionnement en société quand on est si peu et la solidarité bête et méchante mais nécessaire pour faire perdurer la vie sur ce bout de terre… Quel beau cadre ! On se sent loin de tout, tout en restant partagés entre un champ des possibles avec une petite vie simple et recluse et pourtant parallèlement tellement encadrée et contrainte par un fonctionnement déjà bien établi.
Ensuite le fromage… J’ai adoré. C’est pas fait de manière juste poétique (ce que je craignais un peu). On comprend tout le processus. Suffit pas de le vouloir. Y a un beau rappel de pourquoi le fromage existe même. C’était pas une envie de faire pour le plaisir et la beauté de la gastronomie française, ça répondait à un besoin de rentabiliser la moindre denrée alimentaire, d’en disposer à plusieurs reprises dans l’année.
Apprendre que le roquefort s’affinait dans des grottes, c’est même pas pour la découverte de l’anecdote (j’en n’avais vraiment aucune idée) mais une nécessité née de contraintes géographiques tout simplement qui ont amené à exploiter cette façon de faire. Le brocciu corse tiré du petit-lait (ou lactosérum) de lait de brebis ou chèvre corses et ce rappel que là encore c’était pour ne rien perdre lors de la production du fromage « principal ».
Je sais pas j’ai adoré cet hommage à pourquoi même ça existe et tout ce que ça demande d’en produire à un niveau artisanal et non industriel. Voir Ryôsuke confronté aux périodes de rut naturel des chèvres ; l’affinage du fromage (permettant justement de disposer de denrées tirées du lait plus longtemps) ; le fait que les chèvres sauvages ne sont pas autant productives ; les quantités quand bien même qui ne sont pas follichonnes non plus ; l’approche et la traite des chèvres allaitantes sauvages ; l’attachement au chevreau qui serait pourtant inutile dans un projet de production fromagère et donc sa mise à mort inéluctable ; la difficulté d’avoir les bonnes moisissures et la réalité climatique d’une île japonaise peu propice…
C’était un tellement bon rappel des produits bruts et de la distance parcourue qui me donnait l’impression que le fromage existait si facilement au Franprix en bas de chez moi.
La production du fromage de chèvre est devenue un vrai périple passionnant. Moi aussi je voulais aller sur cette île isolée vivre et juste aider au projet (alors que Dieu sait combien je suis citadine).
Enfin cette ambiance parfois intrigante, parfois inquiétante. Le parallèle que je vais faire est horrible mais y avait un côté Délivrance avec des habitants un peu attardés et peu amicaux. Une impression de bloc solidaire jusqu’à l’absurde et prêt à tout cautionner style « nous vs. Les autres ». Surtout avec en face le trio de citadins, Ryôsuke, Kaoru et Tachikawa, les grosses victimes, les coupables idéals, les éléments perturbateurs, les boucs émissaires… C’était dur par moments.
Toutefois ça reste admirable (compliqué après la comparaison que j’ai faite mdr), ils ont besoin de rester soudés de se comprendre et de se protéger quoi qu’il advienne pour survivre en tant que petite communauté insulaire à l’écart. Parce que c’est pas de nos jours qu’ils renouvelleront la population facilement et que – bon gré mal gré – ils arrivent à vivre comme ça. Pour aussi protéger leurs traditions qui ont leurs raisons d’être et renforce ce sentiment d’appartenance.
Alors oui ça donne une menace constante qui peut péter à tout moment parfois pour des suspicions infondées, on veut qu’ils acceptent Ryôsuke et en même temps on peut les comprendre et vouloir militer pour qu’on leur foute la paix.
Ils sont revêches, jamais spécialement touchants et en même temps c’est eux qui sont censés avoir maintenus en vie cette île donc bon.
Bref, belle petite découverte. Apparemment y avait un best-seller précédemment, Les délices de Tokyo. Avec un nom tellement mignon-fade je ne sais pas si j’ai l’impression de l’avoir déjà entendu ou jamais mais j’ai bien envie de me le faire.