Le roi en jaune souffre d'un défaut énorme : le manque de cohésion. Composé de dix-sept textes, il recèle cinq nouvelles fantastiques (dont la dernière, La demoiselle d'Ys, relève davantage de la fantasy), huit poèmes regroupés sous le titre Le paradis du Prophète et quatre nouvelles d'une veine romantique. Le motif du roi en jaune n'est en rien rassembleur, car il n'apparaît que dans les cinq premières nouvelles - encore n'est-ce pas évident de relier La demoiselle d'Ys au mythique roi en jaune, si ce n'est par la grâce de quelques noms propres.


Mais qui est, ou qu’est-ce que le Roi en jaune ? Un personnage, en apparence. Ou bien seulement un mythe... Ce qui aura déçu beaucoup de lecteurs de Robert W. Chambers, c'est justement que ce personnage n'apparaît pas - tout juste l'entend-on chuchoter à l'oreille du narrateur de La cour du Dragon, mais rien n'est jamais sûr dans ce monde délirant. Le Roi en jaune n'est donc qu'une ombre menaçante, présente en creux dans les récits de personnages confrontés à la folie. Cette folie est-elle le fruit de troubles psychiatriques, est-elle celle du monde dans lequel ils vivent, ou bien est-elle générée, comme on le dit, par LE livre, ce livre dans le livre, maudit et intitulé justement Le Roi en jaune, cette pièce de théâtre à la beauté sans pareille que l'on a interdite de publication ? Tout l'art de Chambers consistera à faire pénétrer le lecteur dans cet univers démentiel de déréliction où l'on perd tout repère, à nous faire plonger dans les méandres d'une société minée par des relents putrides et ésotériques, et à instiller une atmosphère d'étrangeté qui marquera Lovecraft - lequel se plaignait de la pauvreté d'imagination d'autres auteurs, qui se contentaient de faire apparaître une créature surnaturelle dans leurs récits pour leur coller l'étiquette "fantastique". D’autant que les nouvelles de Chambers sont, elles, empreintes de l'esthétique décadente et symboliste. Le titre du recueil semble d'ailleurs se référer au Yellow book, revue de la toute fin du XIXème dont la conception revient à Aubrey Beardsley et dans laquelle Henry James écrivit.


Cette esthétique est également prégnante dans les courts textes poétiques rassemblés dans Le paradis du Prophète. Trop prégnante, peut-être, car ils donnent beaucoup dans l'emphase, avec leurs phrases répétées comme des leitmotivs. Il est par ailleurs difficile d'appréhender le projet que leur assignait Chambers. Cela dit, ces poèmes ont pour eux de prolonger en quelque sorte l'atmosphère inquiétante et déroutante des premières nouvelles.


Suivent quatre nouvelles dont les titres incluent tous des noms de rue, qui se déroulent à Paris, et qui n'ont plus grand-chose à voir avec ce qui précède. On quitte définitivement l'occulte pour plonger dans l'eau de rose. Ces histoires d'amour qui, non seulement n'apportent rien au recueil, le gâchent carrément. Elles n'ont rien de très intéressant ni de très original, elles tombent là comme un cheveu sur la soupe et, à vrai dire, elles sont assez ennuyeuses - la presque totalité des lecteurs du Roi en jaune s'accorde sur ce point. C'est fort dommage d'avoir clos le recueil là-dessus.


Pour terminer, je noterai que Le livre de poche s'était fendu d’une nouvelle édition pour la sortie des DVD et Blue-ray de la série True Detective (saison 1), qui distillait ça et là de vagues références au Roi en jaune. Que les fans de True Detective qui n'auraient pas encore lu Le Roi en jaune soient d'ores et déjà prévenus : ils chercheront en vain des clés dans l'ouvrage de Chambers, voire un quelconque rapport du livre avec le scénario des épisodes. C'est finalement très bien comme ça : la saison 1 de True Detective (un petit bijou!) se suffit très bien à elle-même. On pourra cependant lire à la toute fin de cette publication une jolie nouvelle d'Ambrose Bierce qui inspira vaguement Chambers : Un habitant de Carcosa.

Créée

le 13 août 2017

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