Je n'aime pas Napoléon... je n'ai même pas de vague admiration pour ce qu'il a accompli. Pour moi, une des plus belles choses qu'ait accompli la commune c'est d'abattre l'abominable tour de la place Vendôme. L'ambition prédatrice de ce personnage d'une veulerie sans égale me dégoûte et les gens qui le glorifient appartiennent à la race des chauvins, des porteurs de cocarde, des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Non, je n'aime pas Napoléon, et, ça tombe bien! Joseph Roth non plus... Chateaubriand ne l'aimait pas non plus, mais l'un comme l'autre, ils ont écrit leur plus belle prose en se retournant sur la tombe du "prisonnier de Saint-Hélène". Et l'un comme l'autre réussirait presque, pour un peu, à tirer la larme pour le personnage dans ses derniers jours.
Pour Roth, raconter les cent-jours, c'est varier sur son thème fétiche: la faiblesse est la plus grande force, son crédo humaniste jusqu'au-boutiste, infernal de niaiserie lorsqu'expliqué, invraisemblablement puissant lorsque laissé à sa plume. Son œuvre déborde de ses personnages que la puissance rend impuissant (littéralement dans le cas du protagoniste des fausses mesures) et de personnages que leur faiblesse élève au rang des prophètes (Tarabas ou Job par exemple).
Le livre fait de Bonaparte un personnage rothien et défend donc cette thèse, fausse sans doute mais tant pis, que Napoléon n'a jamais été aussi grand qu'il a été plus petit. Il a trouvé sa plus grande force, sa plus grande signifiance dans son humiliation, humiliation qui l'a, in extremis, uni au peuple français. Et cette thèse, Roth la vend à fond la caisse: quand retentit la dernière marseillaise (et peu importe que la marseillaise qui rythme le livre n'ait jamais servi officiellement à l'époque de Napoléon) il est devenu si petit qu'on ne voit plus que lui, si faible que le monstre est devenu humain, malgré lui, malgré nous, tellement humain qu'il en est invincible.
A-t-il mérité un tel hommage de ses détracteurs? Probablement que non, mais ce sont bien eux qui lui ont écrit la plus belle élogie. Jamais aucun panégyriste ne fera aussi bien: ils ne verront jamais le ciron qui projette l'ombre d'un géant.