Bien sûr, on tourne autour du thème de la cocufication, ce n’est pas une surprise. Mais, comme il faut bien varier les procédés et céder aux modes, Feydeau utilise l’élément dramatique de l’hypnose pour créer des situations comiques. À l’époque de Feydeau, l’hypnose était en train d’acquérir ses lettres de noblesse, et chacun s’y intéressait pour tromper son ennui et paraître « moderne ». Un peu comme les gens qui, aujourd’hui, vous disent s’intéresser à la physique quantique, et qui ne comprennent pas sa première équation, et encore moins les suivantes...

Le système de Ribadier, c’est de plonger sa femme Angèle dans un sommeil hypnotique profond lorsqu’il va courir d’autres jupons. Double avantage : non seulement Angèle ne s’aperçoit de rien, mais, même si elle a des soupçons, on peut toujours dire qu’elle a rêvé, puisqu’elle dormait !

Comme il faut bien faire une histoire, Feydeau instille dans son intrigue de quoi faire capoter les peu reluisants talents hypnotiques de Ribadier, en mélangeant plusieurs ingrédients : Angèle est d’une jalousie maladive ; elle est courtisée par un certain Thommereux ; et le cocher Gusman courtise Sophie, la bonne de Ribadier. Ce dernier, quant à lui, séduit Madame Savinet, épouse d’un marchand de vin.

L’art de Feydeau, ici, est d’utiliser les caractères (assez bien dessinés) des personnages pour donner de la vraisemblance au chassé-croisé de tentatives de cocufication. Angèle, vigilante et soupçonneuse jusqu’à la paranoïa ; Thommereux, gentil garçon un peu benêt qui ne veut pas d’histoires, mais qui est sincère dans ses sentiments ; Savinet, le marchand de vin, est le plus surprenant : se sachant cocu, il pourrait vouloir tuer Ribadier, mais son infortune l’indiffère suffisamment pour qu’il se contente de la garantie qu’elle ne soit pas ébruitée auprès des marchés de vin où il opère, ce qui le discréditerait irrémédiablement.

Bien entendu, des jeux de mots et des ambiguïtés donnent à cette pièce un caractère assez souvent comique et bien rythmé ; on rit au fait qu’Angèle se soit mariée avec Ribadier pour ne pas avoir à changer les initiales brodées sur le linge de son trousseau (son ancien mari s’appelait Robineau) ; on rit quand Angèle, pas si endormie que cela, assiste à la première explication orageuse entre Ribadier et Savinet, et apprend tout. Et Ribadier d’essayer de lui faire croire que ce dialogue n’était que la répétition d’une pièce de théâtre...

Malgré sa construction intéressante et son ingéniosité, cette pièce manque de la folie et de la mécanique diabolique qui a fait le succès d’autres œuvres de Feydeau. Sa logique et sa bonhomie dérangent assez peu le spectateur, qui passe un bon moment, certes, mais qui n’en gardera pas forcément un souvenir impérissable.
khorsabad
8
Écrit par

Créée

le 4 mars 2015

Critique lue 282 fois

2 j'aime

khorsabad

Écrit par

Critique lue 282 fois

2

D'autres avis sur Le Système Ribadier

Le Système Ribadier
Cortex69
8

Magnétisme et système conjugual

Jouée pour la première fois en novembre 1892 sur la scène du théâtre du Palais-Royal, Le Système Ribadier a été écrite par Georges Feydeau en collaboration avec Maurice Hennequin. Cette comédie en...

le 20 juin 2022

Du même critique

Gargantua
khorsabad
10

Matin d'un monde

L'enthousiasme naît de la lecture de Gargantua. Le torrent de toutes les jouissances traverse gaillardement ce livre, frais et beau comme le premier parterre de fleurs sauvages au printemps. Balayant...

le 26 févr. 2011

36 j'aime

7

Le Cantique des Cantiques
khorsabad
8

Erotisme Biblique

Le public français contemporain, conditionné à voir dans la Bible la racine répulsive de tous les refoulements sexuels, aura peut-être de la peine à croire qu'un texte aussi franchement amoureux et...

le 7 mars 2011

35 j'aime

14