Délire mystique et métalittéraire un peu surfait.

Le Train d'Erlingen est un roman médiocre écrit par un homme hors du commun. Je gardais en souvenir la lecture du très grand roman de Boualem Sansal merveilleusement intitulé 2084 qui m'avait ravi autant que séduit. La littérature, elle aussi, connaît ses figures de proue d'autant plus en une époque où les mots sont aussi maltraités que les hommes. Il est difficile de comparer un écrivain avec lui-même quand ce dernier a déjà écrit des chef-d’œuvres mais il serait malhonnête de chanter des louanges d'un roman qui ne parvient pas à se hisser au niveau de son auteur. Que penser donc de la Métamorphose de Dieu toute inspirée de Franz Kafka, de Thoreau ou de Baudelaire ? D'un roman plein de poésie, d'érudition et d'acuité politique ? Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Le roman semble se fracasser sur ses propres limites. Sur les bornes de sa petitesse, sur l'exclusivisme de ses hypothèses et sur sa mysticité étonnante. Boualem Sansal raconte ici l'histoire d'une professeure retraitée fracassée après les attentats du 13 novembre 2015 sur l'autel de l'islamisme, et qui trouve tout à coup une forme de connexion fantasmagorique avec une riche industrielle isolée dans une ville nommée Erlingen en Allemagne qui subit une invasion lente et effrayante de soldats étranges venus d'un autre monde. La femme, perdue dans des souvenirs fantasques, qui semble trouver dans un cosmos éloigné les mêmes affres que ceux qu'elle connaissait dans sa vie, échoue, lourde et accablée, sur les ruines d'un ancien monde, lui-même rattrapé par une Cité Divine intemporelle. Le roman est fort dans son concept. Pourtant, il semble complètement tomber à côté de son objectif.


Le lecteur ne commence pas avec la virginité habituelle qui lui incomberait en temps normal. Il connaît Boualem Sansal, l'écrivain courageux, rare et vaillant dans son combat sans failles contre l'islamisme. Il n'est pas complètement naïf sur cette Cité divine, sur ce Dieu métamorphosé et sur ses étranges envahisseurs morbides ayant trouvé la vie dans le sang et les armes. Il sait déjà qui ils sont sans vraiment comprendre leurs objectifs ou leurs buts. L'écrivain nous fait (re)découvrir les philosophes comme Thoreau, ce naturaliste atomiste et grandiose. Il nous rappelle les charmes de la littérature, de la raison occidentale et de la réalité kafkaïenne. Il dénonce avec raison la lâcheté et la faiblesse des dirigeants occidentaux, ainsi que leur manque profond d'idéal. Mais Boualem Sansal déçoit, aussi. Il s'attaque à des éléments inutiles et se répète dans ses emportements. L'homme nous explique que la France est le pays européen le plus lâche d'entre tous, le plus désagréable à vivre et qu'il se meurt, entendez-bien amis lecteurs, de sa sécurité sociale et de son marché du travail trop rigide! Combien de fois l'auteur, de manière médiocre et piètre, renvoie les causes de la crise identitaire et spirituel aux diagnostics libéraux, qui gouvernent pourtant notre monde aujourd'hui, qui rappelle un autre écrivain algérien libéral Kamel Daoud, tout en admirant le Royaume-Uni plus touché que notre pays par le communautarisme. De la même manière, l'anti-clérical Sansal nous propose une monde mystique et idéaliste qui est en contradiction totale avec ce philosophe Thoreau qu'il nous argue sans cesse en exemple. Il est vraiment impossible de penser que Boualem Sansal n'ait pas compris cette philosophie, et alors c'est plus grave : il la dénature. L'auteur nous abreuve d'une vision cosmologique absolument dénuée de toute rationalité, de toute pesanteur et de tout matérialisme. Il reprend le même mode de pensée céleste et transcendantal que ceux qu'il prétend combattre. Quel naufrage.


En ce qu'il s'agit du style, Boualem Sansal ne nous avait pas habitué à quelque chose de très incroyable. Déjà dans ses romans précédents, l'auteur est simple, clair et n'enfume pas. Il ne se vante pas, et ne se targue pas de moments de grâce un peu creux. L'histoire est parfois racontée d'une manière désagréable tant elle se focalise sur des structures syntaxiques un peu lapidaires et cordonnées sans conjonctions particulières. De la même manière, contrairement à 2084, il y a un peu de simplisme et d'évidence. Dans l'ordre du récit, on reconnaît Mulholland Drive et un peu de Philip. K Dick. L'idée n'est pas dénuée de toute originalité, mais il manque un certain souffle. L'esprit ne s'élève pas ni le coeur. Néanmoins, il y a notamment à la fin du roman des passages très plaisants et qui nous font enfin l'effet d'une belle littérature. Voici une citation qui conclura sur une note positive ma critique : Et maintenant que nous sommes près d'entrer dans le futur et de gagner les étoiles, voilà que l'Histoire faisant retour sur elle-même nous ramène à l'exode à pied, sans autre boussole que l'instinct de survie. Et voilà que des millions de personnes vont de nouveau par les routes en files interminables, elles viennent du fond de l'Afrique, de la lointaine Asie et de Proche Orient perdu dans son passé, et toutes convergent vers le Nord bienheureux, mais demain sans doute, très naturellement, le mouvement s'inversera, on marchera du Nord vers le Sud, vers les confins abandonnés du monde. La terre étant ronde, ce qui part d'un côté revient de l'autre, par la géodésique du malheur. Au bout, au terminus, quand la force viendra à se tarir, un spectacle grandiose se déroulera sous le ciel, la population mondiale n'ayant plus de destinations, ni de pays, de racines et d'histoires, et plus d'avenir sur terre, ni d'ambitions dans les étoiles, elle se massera au bord du vide, immobile et silencieuse, les yeux levés au ciel

PaulStaes
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le 2 déc. 2018

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