Dans un premier temps, il est difficile de savoir exactement où et quand se situe l’action, même si on se doute que nous sommes aux États-Unis à une époque où les voitures paquebot couraient les rues.


On devine qu’Alex, 16 ans (le voleur en question), trouve dans chaque voiture qu’il emprunte, un instrument de liberté. Probablement trouve-t-il dans l’intérieur confortable (sièges en cuir), quelque chose qui ressemble à la sécurité intra-utérine perdue. Impression renforcée quand on apprend que sa mère est partie. Alex vit avec son père qui travaille à l’usine. On ne saura jamais de quelle usine il s’agit exactement, même si on imagine assez bien une usine de montage de voitures. Et si on apprend qu’Alex en est à sa quatorzième voiture, c’est parce qu’il finit par se faire cueillir et interroger par la police. Pourquoi vole-t-il des voitures ? Il ne sait pas l’expliquer. Alex va se retrouver dans une sorte de maison de redressement, en attente de jugement (il risque la prison). Quand son père vient le voir, celui-ci s’accuse d’être le vrai responsable. Pourtant, on se dit que seul, il ne s’en est pas si mal tiré. Jusqu’au moment où on comprend pourquoi la mère d’Alex a pu partir. D’ailleurs, assez rapidement elle est venue récupérer Howard, le petit frère d’Alex. Depuis, les deux frères vivent dans des milieux assez différents et ne se voient plus guère. Une situation qui apporte un réel malaise, car les liens de famille restent forts malgré des relations chaotiques. Tout cela passe essentiellement dans la maladresse et les absences du père qui ne sait pas exactement ce que ses garçons peuvent attendre de lui, ainsi que dans les rapports entre Alex et Howard qui en plus de leur séparation, subissent leurs changements physiques qui marquent à chaque fois leurs retrouvailles.


Attention, les situations d’action en rapport avec le titre ne font pas l’essentiel du roman. Une bonne partie se situe dans la maison de redressement, lieu clos et dur où Alex subit la loi du plus fort. A sa sortie, en attente de jugement et devant régulièrement rendre des comptes, Alex est décidé à retrouver le droit chemin. Alors, il met en sourdine ses envies d’indépendance et il cherche à se faire oublier en reprenant sa vie d’écolier fils d’ouvrier. Mais il a encore beaucoup à apprendre de la vie. Autour de lui, toutes et tous connaissent son passé de voleur de voitures. Même si certains pourraient oublier, le poids exercé par la société est trop fort et les incidents se multiplient. Que ce soient les élèves ou bien les enseignants de l’établissement qu’il fréquente, tous font comprendre à Alex qu’il est devenu persona non grata.


Très adolescent dans son état d’esprit, Alex ne sait pas exactement ce qu’il veut. Il se cherche. Typique et révélatrice, son attitude vis-à-vis des filles. Il cherche à en fréquenter une avant d’être arrêté, mais il pense à d’autres. Dans la maison de redressement, il continue de fantasmer sur l’une d’elles mais remarque une pensionnaire. Leur approche est un modèle de description bien à l’image du style de Theodore Weesner. L’auteur se montre d’une grande précision dans les détails, mais surtout ce qu’il décrit fait sentir les impressions et mouvements de ses personnages (les détails, nombreux, font sentir la vie). Même chose lorsqu’il décrit Alex en train de s’entrainer au basket. Pas besoin de s’y connaître pour comprendre qu’il joue bien et mériterait d’être sélectionné dans l’équipe première de son établissement. Pour lui, le basket serait un bon moyen d’accéder à des études supérieures et d’envisager un avenir de qualité.


Le voleur de voitures est donc un roman d’apprentissage. Publié aux États-Unis en 1972, il s’y est alors vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Un succès qui a entrainé plusieurs traductions et valu à son auteur d’entamer une carrière d’écrivain (une douzaine de romans en tout). La publication de ce roman très largement autobiographique a changé totalement sa vie. Après 3 années passées dans l’armée, Theodore Weesner était entré dans une université en candidat libre.


Ce roman très personnel se lit avec une facilité déconcertante, surtout sachant que les descriptions y abondent. Il se caractérise par l’incroyable habileté avec laquelle l’auteur joue avec la langue, en particulier en passant régulièrement d’un temps à l’autre dans une même phrase. Non seulement cela ne dérange pas, mais cela donne beaucoup de justesse au texte (qui présente la vie d’Alex et son moi profond selon un point de vue omniscient assez classique). De plus, Weesner a l’intelligence de mettre son lecteur (sa lectrice) en perpétuelle recherche d’informations pour comprendre Alex et tout ce qui se passe autour de lui. Dans la maison de redressement, Alex (qui s’appelle Housman « l’homme-maison ») a de nombreuses réminiscences. On comprend progressivement l’architecture des relations familiales.


D’abord assez anodines, les relations d’Alex avec son père prennent une tournure qui rappelle qu’ils ont passé beaucoup de temps en tête-à-tête, jusqu’à une fin émouvante qui surprend (serrement de cœur).


Bien entendu, avec le recul on peut considérer ce roman comme un très intéressant témoignage sur une époque (années 60) et les milieux qu’il évoque, notamment le milieu ouvrier à Detroit, où l’activité tournait essentiellement autour de l’industrie automobile. On devine l’écartèlement entre une génération marquée par la guerre et une autre qui se voulait tournée vers un avenir encore incertain.

Electron
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le 3 juin 2018

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