Critique de Shaynning
BD adulte de 2020, "Chinese Queer" est ce genre de Bd qui comporte une forte dimension philosophique existentielle, un côté de critique sociale et un graphisme assez particulier.Faire un résumé de...
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le 22 mai 2022
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Incontournable Roman Septembre 2025
Y a pas à dire, j'aime beaucoup la jeune collection développée par la maison québécoise Planète Rebelle. C'est l'une des seule collection à ma connaissance qui met l'accent sur le folklore et les légendes de façon aussi centrale. Et là, je ne parle pas que des contes classiques réécrits et détournés aux quatre coins des éditions jeunesse. Ici, on nage dans un joyeux mélanges de petites histoires et de légendes qui se sont baladées un peu partout autour de la Méditerranée et au Moyen-Orient, entouré de baleines endormies, de Reines amatrices d'histoires et d'eaux salées à perte de vue.
Petite dernière de sa grande fratrie composé de douze frères plus ou moins sympathiques et passablement turbulents, Aëll est aussi cette petite personne dont on se moque et qu'on ignore le reste du temps. Un jour, elle laisse derrière elle son petit univers gris et froid pour s'embarquer sur un petit voilier, pour prendre la mer. Elle peut ainsi mettre en pratique ses observations menées sur ses nombreux grands frère et son père, tous pécheurs. Défiant cette peur qui meuble son quotidien, Aëll s'engage pour un voyage en mer où elle vivra moult aventures, mais où , surtout, elle partira en quête d'elle-même.
"Le voyage d'Aëll" est le cinquième membre de la collection "Perdre le Nord" et pour le moment, le plus court. Toutefois, il n'en est pas moins intéressant. Il dégage quelque chose d'onirique et de doux, où on se sent bercé par la houle.
À partir d'ici, il y aura des divulgâchis.
Aëll rencontre un banc de baleines endormies paisiblement, alors qu'un homme qui s'en fait le gardien, les berce avec des chants et les manipule pour les positionner selon leurs préférence, tel un papa. Edwyn, de son nom, me semble incarner ces inconditionnels amoureux des animaux. Je me rend compte, en écrivant ses lignes, qui pourrait incarner l'idéal paternel d'Aëll, un homme doux, sensible et prévenant, qui connait ses "enfants" et souhaite autant leur confort que leur bien-être.
Sa seconde rencontre sera celle des Reines de l'île au sable rouge. L'une lui racontera sa formidable histoire de ruse et de piraterie, où elle passera de simple passagère à Capitaine, pour trouver l'amour au bras d'une princesse, qui se seront d'abord longtemps fréquentées. Sur cette île qu'elles gouvernent ensemble, se tiennent des rencontres secrètes, sous le couver de la nuit, où des femmes de toute classe sociale se retrouvent pour se raconter des histoires, un thé à la mains. C'est dans cet univers douillet et chaleureux qu'Aëll découvre le pouvoir de la sororité, qui contraste fortement avec la fraternité bagarreuse et moqueuse de sa propre famille. Aëll se sent écoutée, considérée et même aimée. C'est au terme de nombreux mois qu'elle reprend la mer, bien plus confiante et solide qu'elle ne l'a jamais été. Elle sait maintenant qu'on peut porter ses amitiés à travers le temps et l'espace et que ce ne sont que des au revoir, pas des adieux.
Enfin, alors qu'elle ressens son premier sentiment nostalgique pour son foyer, Aëll traverse sa plus grande crainte: une tempête en mer. Celles-là même dont ses frères nourrissaient par malice. La jeune fille s'en sortira et retrouvera son foyer - du moins un temps. Il serait agréable de croire que tout ce qu'elle a laissé derrière a changé durant son long voyage, mais il n'en fut rien. La seule chose qui a réellement changé est Aëll elle-même, plus affirmée dans sa connaissance de soi et emplie de souvenirs et de rencontres ayant contribuer à la faire grandir et murir. Et ça, pour citer l'auteur: " Et personne ne pourra jamais rien faire contre ça".
Comme les autres membres de la fratrie Perdre le Nord, nous avons droit à de belles illustrations. J'aime particulièrement celle avec les baleines qui roupillent à la verticale, sereinement suspendues dans l'eau. La couverture aussi est jolie, avec cette même douceur un peu mélancolique qu'on retrouve dans l'histoire.
Comme les autres auteurs et autrices qui ont façonné la collection, Charly Mullot apporte des précisions à la fin du roman quant aux inspirations folkloriques et légendaires qui parsèment le récit. Iel a entre autre choisi le conte traditionnel "La femme Capitaine" ( ou "La fille qui a marié la princesse") qui "existe en plusieurs versions [comme la plupart des contes], qu'on retrouve en Europe de l'Est, dans le monde arabe, en Asie et surtout en Méditerranée. "(P.93). C'est l'inspiration pour la fameuse capitaine devenue Reine. Au Chapitre 8, là où les femmes se racontent des histoires, on retrouve deux histoires du répertoire de contes de Nasreddine, "histoires qui voyagent depuis des siècles à travers la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan et certains pays arabes comme la Syrie, l'Irak, l'Égypte ou le Maroc" (P.94). L'histoire de la princesse qui se transforme en biche provient du chant traditionnel européen "La blanche biche", une complainte.
Je me réjouis de trouver entre ces pages une inclinaison LGBT+ qui n'a rien de dramatique et des inspirations du Moyen-Orient, qui n'est pas particulièrement bien représenté en littérature jeunesse, du moins dans notre offre éditoriale occidentale. C'est bon, comme l'est un voyage, de se faire transporter ailleurs, sur d'autres réalités et d'autres cultures. Également, je trouve dans cette œuvre La "famille choisie", celle qu'on adopte, pas celle avec laquelle ont est à la naissance. Parfois, quand la famille biologique faillit à pourvoir des besoins aussi fondamentaux que la présence, l'affection et la reconnaissance ( de qui on est et de ce qui nous définit), il peut être alors salvateur et porteur de les chercher ailleurs. Contrairement à de vieilles croyances, l'amour n'est pas forcément conditionnelle au lien de sang. Les valeurs, les expériences et les affinités sont autant de choses qui peuvent nous lier les uns aux autres. Aëll n'a pas choisi sa famille, mais à travers des gens bienveillants et empathiques, des explorateurs et des rêveurs comme elle, elle a su trouver un terreau fertile pour grandir. Maintenant qu'elle sait cela possible, sans doute pourra-t-elle forger d'autres amitiés saines et porteuses le reste de sa vie. Il me semble que c'est là un message chargé d'espoir pour toutes les personnes qui peuvent se sentir seul.e et peu ou mal compris, enfants comme adultes.
Et c'est donc une cinquième réussite à mes yeux pour la collection, qui rejoins les Incontournables de cette année, aux côtés du quatrième parue en juin, "Au Nord de l'impossible", que je vous recommande chaleureusement.
Pour un lectorat à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+
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Créée
le 12 sept. 2025
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