Heurts et malheurs d'un piano et de ses propriétaires à travers le temps

1937, à New York. Si Tillie n’a pas le talent de son jumeau violoncelliste, elle n’en partage pas moins la passion pour la musique qui anime sa famille. Comme son père et son grand-père avant elle, elle entre donc chez Steinway & Sons, où la voilà bientôt au service des immortels, ces pianistes d’exception parmi lesquels Rachmaninov et Horowitz. 2014, à Hong Kong. La vieille dame qu’est devenue Tillie n’a plus la force de faire chanter elle-même son Steinway. Xia, une étudiante chinoise dont un concours raté a anéanti les ambitions musicales, vient jouer pour elle et ainsi garder en vie le vieux piano et les émotions qui lui sont attachées dans le coeur de sa propriétaire. Mais les deux femmes vont découvrir, qu’au-delà de cet instrument et de l’amour de la musique qui les ont réunies, elles ont aussi en commun un sombre secret, qui, sans qu’elles en aient jamais eu conscience, a infléchi le cours de leur existence.


L’idée de suivre à travers le temps le parcours d’un objet, d’une œuvre d’art ou d’un instrument de musique n’est pas neuve. D’autres s’y sont déjà essayés, comme Mizubayashi Akira avec Ame brisée, ou Marie Charvet avec L’âme du violon, tant la vulnérabilité à la barbarie, aux guerres et à l’obscurantisme – entre autres – de ces choses rares et inestimables qui, non seulement incarnent la beauté et le génie, mais se chargent aussi au fil du temps de la mémoire des vies et des âmes qu’elles ont fait vibrer, comporte, il est vrai, de potentiel éminemment tragique et romanesque. Nous voici donc à voltiger en incessants allers-retours entre lieux et époques, sur les pas cette fois d’un piano fort opportunément reconnaissable à deux papillons gravés dans son bois : des lieux et des époques dont l’auteur use et abuse toutefois jusqu’à risquer de perdre son lecteur en chemin, comme autant de pièces de puzzle dont l’assemblage finit par dévoiler les fils blancs d’un improbable imbroglio, mêlant histoires d’amour et hasards tout autant impossibles les uns que les autres.


Reste une lecture légère et romanesque, dont les rebondissements prévisibles et pas absolument passionnants font néanmoins voyager, en musique, d’un continent à l’autre et à travers les époques. Surnagent aussi quelques jolies émotions musicales, même si Mahler s’en serait probablement énervé, lui qui jugeait les mots impuissants à décrire la musique, sauf quand elle est mauvaise.


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Cannetille
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le 12 juin 2023

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