Lorsque Goethe publie « Les affinités électives » en 1809, trente-cinq ans après Werther, il a déjà soixante ans. On le dit ému, épris, voire même bouleversé par une très jeune femme. Passionné de sciences, il se fonde sur la théorie des affinités chimiques des éléments entre eux (d’Étienne-François Geoffroy), la transpose, et nous fait vivre avec une violence et une subtilité intactes les effets physiques et psychologiques de l’attirance amoureuse.

«- Si vous ne trouvez pas que cela prend un air pédant, reprit le capitaine, je puis me résumer brièvement dans le langage des signes. Figurez-vous qu’un certain A intimement uni avec un certain B, et qui n’en saurait être séparé par beaucoup de moyens, beaucoup d’efforts ; figurez-vous un C qui se comporte de même envers D ; mettez maintenant les deux couples en contact : A se jettera sur D et C sur B, sans qu’on puisse dire qui a quitté l’autre le premier, qui s’est réuni le premier à l’autre. »

Édouard et Charlotte se sont enfin mariés, devenus chacun veuf et veuve, et ayant pu ainsi enfin donner libre cours à leur amour de jeunesse partagé qui s’est maintenant commué en un mariage heureux et paisible. Dans un cadre isolé, ils profitent des joies de leur château, dans l’insouciance qu’autorise leur fortune. Apres quelques atermoiements de Charlotte, qui craint la rupture de leur bel équilibre, ils accueillent à demeure deux invités, l’un d’eux ami d’Edouard, le Capitaine (personnage non nommé en dehors de son grade), un homme mesuré et sérieux en tout, et Odile la nièce de Charlotte, qui n’est pas brillante, mais qui telle un aimant attire à elle toutes les attentions.

Avec ce quatuor, « Les affinités électives » est comme une expérimentation autour de cette question : Le mariage doit-il rester un objet sacré, pour le meilleur et pour le pire ? Et bien sûr, comme prévu, A va s’éprendre de C, et B de D.

Tandis que les aménagements du parc, de la chapelle, et la construction d’une nouvelle maison sur les hauteurs donnent à la propriété un aspect de plus en plus idyllique et ordonné, la force de la passion qui naît entre Édouard et Odile annonce des déchirements tragiques, entre l’impétuosité destructrice d’Edouard et l’ambivalence de la douce et céleste Odile, personnage solaire du roman ; Odile, fascinant personnage d’intérieur, qui jardine dans les serres, entretient la maison et intériorise aussi ce conflit si brutal entre sa passion pour Édouard, le centre de sa vie, et sa lumineuse bienveillance envers tous. Ce perpétuel conflit entre la liberté d’aimer et les contraintes morales sera lui résolu par Charlotte et le Capitaine, plus raisonnables et maîtrisés, mais aussi moins passionnants.

Le titre de cette œuvre attire comme un aimant. Et ce texte de deux-cent ans qui a été tant lu et commenté, conserve effectivement tout son magnétisme. Au-delà des déchirements, de la crise du mariage typique de l’époque, il contient aussi une peinture extraordinaire de la vie mondaine sous toutes ses facettes, avec notamment ces scènes extraordinaires du divertissement des tableaux vivants, et il fascine aussi quand, par moments, le récit prend tout à coup une tournure fantastique.

« En s’avançant sur une falaise, ils virent devant eux, dans le fond, la vieille bâtisse de bois, noire, singulière, ombragée par des rochers à pic et par de grands arbres. Ils se décidèrent bon gré mal gré à descendre sur la mousse et les débris de roches, Édouard en tête. Lorsqu’il regardait en l’air et qu’il apercevait Odile le suivant de pierre en pierre, d’une marche légère, sans crainte et sans anxiété, avec le plus bel équilibre, il croyait voir planer au-dessus de lui une créature céleste. »
MarianneL
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le 17 mai 2013

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MarianneL

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