Tableau marécageux des hypocrisies de la société américaine

Avocate de profession, Marie Vingtras aime les huis clos vénéneux où, bien à l’abri des regards, la férocité des âmes macère. Trois ans après son très remarqué premier roman Blizzard, cette passionnée de littérature américaine quitte les rudesses de l’Alaska pour les civilités d’une petite ville quelque part ailleurs aux Etats-Unis. A l’image de son climat plus tempéré, cette bourgade semble couler des jours paisibles. C’est que, en apparence moins brutal, le mal s’y fait plus insidieux.


Tout commence un jour pourtant comme les autres, lorsque le corps de Leo, une jeune fille sans histoire, est retrouvé en bordure de rivière et que l’autopsie conclut à un assassinat. A Mercy où tout le monde se connaît et où il ne se passe jamais rien, un trouble crispé s’installe. La nouvelle shérif Lauren Hobler, qui plus est l’objet de réticences mal voilées car non seulement femme mais aussi homosexuelle, patine dans une enquête peinant à percer les façades bien proprettes de la ville. Mais voilà que surgit un coupable idéal, Benjamin Chapman, un professeur de français dont on découvre à cette occasion qu’il est venu s’enterrer à Mercy suite à des accusations de détournement de mineure.


Comme dans Blizzard, quatre personnages mènent tour à tour le récit dans une succession de points de vue s’éclairant mutuellement. Découpé ainsi en quatre parties, le récit avance le temps de quatre saisons pour autant d’ambiances et de styles de narration. Au printemps du drame, la shérif en est aux questionnements et aux incertitudes : « c’était sans doute ce que les gens recherchaient ici, vivre à l’abri des regards, mais je n’étais plus tout à fait sûre que ce soit sain ». L’été vient accabler le professeur de tout le poids de ses culpabilités. L’automne déverse les révélations de celle qui, autrefois la meilleure amie de Leo, s’est peu à peu, par jalousie, muée en manipulatrice perverse, les failles et les zones d’ombre ne manquant pas dans le secret des personnalités entourant les jeunes filles. Enfin, l’hiver resserre ses griffes sur la douleur du père de Leo, jusqu’au dénouement, terrible et glaçant. Dans cette histoire, rien au final ne s‘avère ni blanc ni noir, alors que sous le vernis lisse de la tranquillité et de la respectabilité pourrissent en secret petitesses, rancoeurs et vilenies.


Maîtresse en tension et en suspense, Marie Vingtras l’est tout autant des descentes en profondeur dans l’âme humaine, dans ces replis cachés sous les apparences les plus tranquilles et ordinaires. Sous l’être social se dissimule bien des complexités et qui s’aventure en société est loin d’imaginer les invisibles courants qui font et défont les relations humaines, et parfois les vies et les réputations. « Avec le genre humain, on n’est jamais sûr de rien. »


Un second roman lui aussi très réussi, aussi addictif que crédible, pour un tableau marécageux des hypocrisies de la société américaine et de l’âme humaine.


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Cannetille
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le 7 nov. 2024

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