Les Aventures du dernier Abencerage parle d’Aben-Hamet, un Maure dont sa famille noble dut s’exiler, car elle a perdu le contrôle de Grenade face aux Espagnols en 1492. Un jour, le héros décide de revenir sur les terres dont ses aïeux ont régné pour se laisser envoûter par la beauté de cette cité. Une beauté qu’il va retrouver chez Bianca, une Andalouse dont il tombe follement amoureux. Elle est la fille du roi de Grenade et la descendante du Cid (donc la sœur de Don Carlos). Elle tombe également amoureuse, sauf que chacun de leur côté n’accepte pas de se marier ensemble, tant que l’un ne s’est pas converti dans la religion de l’autre.
D’un côté un musulman, de l’autre une chrétienne, c’est donc un choix cornélien que Chateaubriand impose à ses brillants personnages. Ils sont tiraillés par leur religion mais aussi par le regard que leur famille va porter sur eux. En conflit à cause du passé ennemi de leurs ancêtres et de leur honneur, cette histoire d’amour impossible est tout aussi déchirante que Atala et René. Aben-Hamet se sacrifie en s’éloignant de sa famille, il est torturé dans son chagrin et dans les regrets qu’il porte à sa patrie dont il témoigne tout son amour. Bianca ne sait que choisir, car sous la pression de son frère qui veut la faire épouser Lautrec (un prisonnier chrétien), elle n’est plus libre de ses choix. Chateaubriand met en exergue cet obstacle insurmontable et interroge les notions d’honneur, de fidélité, de sacrifice et de mœurs à respecter. Ce sont tous des personnages à la fois généreux, héroïques et galants ; l’auteur nous transporte dans un exotisme sentimental et passionnel.
Comme à l’accoutumée chez Chateaubriand, les regards portés sur la grandeur des paysages et, plus spécifiquement, Grenade, qui fut sans cesse remplacée par les Maures puis les Espagnols, sont splendides parce qu’ils font sens dans les émotions du protagoniste principal. En effet, l’Abencerage est le produit de ce choc des civilisations, il aime sa patrie et en même temps regrette quelque chose qu’il n’a pas connu, c’est-à-dire Grenade sous l’occupation musulmane. Il a des visions très romantiques et une nostalgie de quelque chose qu'il n'a pas connu, il poursuit une chimère dont le temps et l’Histoire ont tout détruit sur leur passage. Bianca devient la métaphore d’une entité inaccessible et ce, jusqu’à la fin, lorsque Aben-Hamet décide de retourner chez lui sans avoir pu goûter à l’extase ultime de son amour.
La vision finale est à la fois funèbre et accentue un flux des histoires qui traversent l’espace-temps, car elle présente la tombe, perdue en plein désert, du Maure dont la destinée ne fut pas connue. En même temps, la pierre sépulcrale a un léger enfoncement qui permet à des oiseaux de se désaltérer quand il y a de l’eau à l’intérieur. D’une certaine manière, sa quête amoureuse reste encore palpable et brûlante, comme le soleil plombant du désert et surtout l’amour fou qui ne put jamais être conclu à cause de leur dignité familiale.
Ed. Folio, coll. Folio classique, 1978