Les Cavaliers
8.3
Les Cavaliers

livre de Joseph Kessel (1967)

Le soleil se lève.


La steppe, cloisonnée de montagnes crevant le ciel, emplit son immensité verdoyante de cris, souffles, râles et hurlements humains et animaux entremêlés dans un nuage de poussière qui s'élève avec l'astre naissant. Au ras du sol, un monstre aux mille pattes s'ébroue autour d'une carcasse de bouc sous les vivats des nomades, jusqu'à la saillie victorieuse d'un cavalier s'extirpant du magma pour respirer le grand air de la plaine qui s'étend face à lui.


Le bouzkachi, jeu équestre aux allures de guérilla montée, n'a sa place qu'au creux du monde, dans un océan de verdure figé depuis quelques siècles dans une dignité et une tradition monolithiques. Ses règles et son déroulement n'importent que peu face à l'ardeur des cavaliers et de leurs montures, la violence brute, l'agilité, l'audace et l'intelligence de chacun des participants, homme ou cheval.
Seuls quelques élus peuvent s'y présenter. Seuls quelques vainqueurs en retireront une gloire éternelle.


Parmi eux, l'invicible Toursène, éminent cavalier, fait encore résonner chaque brin d'herbe de ses exploits, de son aura mythique, malgré la chappe de plomb déposée par les années sur sa carrure désormais presque immuable. Dans ses écuries, il façonne jour après jour des étalons d'exception et des cavaliers admirables, pour l'honneur de ce jeu immémorial.


Loin de la steppe, la ville bruit d'une douce excitation.
Kaboul, cité basculée dans une modernité décalée de l'arrière pays afghan, s'apprête à s'embraser pour quelques cavaliers d'un autre temps, réunis pour le premier bouzkachi royal.


Loin des yeux de Toursène, son fils Ouroz entre en scène dans cette mêlée désordonnée, juché sur Jehol, étalon aux proportions quasi divines et à l'intellect aux frontières de l'humain, perfectionné génération après génération par le patriarche imposant.
Dans cette cacophonie poussiéreuse, le fier Ouroz s'expose à un enjeu qui dépasse de loin la gloire de la victoire, construit par son orgueil face à son père, si différent et si distant.


Fracassé en plein galop par une jambe brisée, Ouroz ne conçoit son honneur sauf que dans une marche inouïe perché sur son fidèle Jehol, lui l'impotent face aux montagnes et aux défilés, aux chemins escarpés tranchant dans le roc, face au froid et aux privations, à l'inconfort le plus extrême. Lui, l'estropié, face à lui-même.
Dans sa quête absurde, dictée par l'orgueil et l'arrogance, seul son serviteur Mokkhi et quelques âmes égarées suivent ses pas vers la steppe, vers son père, vers son honneur.


Dans l'immensité insolente des montagnes, un combat empli de regrets et de trahison se joue à des lieues de toute âme, une joute mesquine dont la violence sourde n'envie rien à celle du bouzkachi, un drame aussi immense que la petitesse de ses acteurs.


Et partout dans ce pays protéiforme, des steppes désertiques qu'on traverse au galop aux cimes abruptes dressées face au monde, dans cet océan terrestre gonflé de l'imperfection des hommes qui la peuplent, un soleil érubescent vient faire mourir ses derniers rayons rougeauds avant de disparaître.


Là, au crépuscule du jour et de sa vie, Guardi Guedj, Aïeul de tout le monde, conteur centenaire à à la sagesse proverbiale, distille ses conseils et sa douceur.
Et s'émeut encore, faiblesse humaine s'il en est, de quelques notes de musique alors que le soleil se couche.

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le 26 mai 2020

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