Recueil poétique de six chants, Les Chants de Maldoror sont l’œuvre d'un jeune et fugace poète du nom de Ducasse (publié sous le pseudonyme de Lautréamont). Loin des louanges de la Grâce et de l'éloge de la Nature, loin du réalisme ou de tout autre propos classique ; Maldoror, personnage malfaisant, nous narre ses méfaits et pensées obscures par une poésie lugubre et ténébreuse.
L’œuvre n'est pas à mettre dans toutes les mains, comme nous le dit l'auteur via une mise en garde, et il faut avouer qu'il y a de quoi être choqué, saisi d'effroi devant des scènes parfois douloureuses, crues, tantôt violentes ou dégoutantes. Maldoror est un être misanthrope, assassin de surcroit, qui apparaît tantôt comme un vampire, comme un requin cruel, comme une ombre rodant dans les pas d'un jeune homme.
Quand il parle de Dieu ou avec Dieu (!) c'est pour blasphémer ou se juger supérieur à lui, quand il parle de l'Homme c'est pour le violenter ou décrire ses mauvais penchants, narrer la fange dans laquelle il évolue, quand il parle de la Nature il évoque les pourceaux, les insectes les plus répugnants ou les animaux les plus cruels.
Lautréamont a choisi de parler du Mal car, pour certains, comme le Bien, il traduit une volonté d'accéder à l'infini.
Mais cette volonté de faire de la poésie noire, aux relents putrides, n'empêche pas une exaltation tout aussi réjouissante que le propos peut-être répugnant. Les discussions avec un fossoyeur, la description de l'union à une femelle requin, le conte de la famille rigoriste, croyante dans laquelle s'immisce comme un venin Maldoror, la scène de la cellule avec le cheveu, les viols, les passages à tabac... tous ces moments aussi glauques soient-ils renferment une puissance évocatrice telle qu'ils réfutent la gratuité d'une méchanceté aux velléités de choquer sans autre but le lecteur.
Certes l’œuvre est parfois difficilement pénétrable, insoutenable, parfois confuse dans la forme comme s'en amuse lui-même l'auteur lorsqu'il allonge jusqu'au ridicule la tournure de ses phrases (jusqu'à en perdre lui-même son point de départ) ; certes le sixième chant tente un exercice de style plein d'audace qui le rend peut-être moins compréhensible et moins agréable à lire ; mais l'ensemble conserve un pouvoir d'imagination qui happe le lecteur dans un monde pourtant repoussant.
On notera d'ailleurs que dans les Poésie suivantes, qui sont de la prose d'ailleurs, Lautréamont rejette ces chants qu'il qualifie de poésie du doute et de la méchanceté théorique pour mieux parler d'espérance et de bonheur. Et qu'il s'en sort malheureusement (mais pas étonnamment ?) avec beaucoup moins de talent !
Les Chants de Maldoror semblent en effet un œuvre unique, comme un jet sorti d'un cerveau malade que l'on ne pourra jamais retrouver chez aucun autre, d'un poète à la carrière quasiment aussi courte que sa vie, mais qui a laissé grâce à ces chants un héritage éternel à la poésie.