Les Châtiments
7.5
Les Châtiments

livre de Victor Hugo (1853)

Le plus grand poéte français: Hugo bien sur et certainement pas hélas!

La haine de Victor Hugo pour Napoléon III fut longtemps fatale a la postérité du dernier monarque français. Aujourd'hui de nombreux historiens ont mis en avant une vision plus nuancé et favorable de Napoléon III et du second empire. Chef d'état autoritaire dans la première partie de son règne, libéral dans la seconde. Charles Louis Napoléon Bonaparte ne fut pas le barbare sanguinaire complaisamment décris par Hugo, et loin d'être un incompétent il a en 18 ans modernisé la France d'une manière spectaculaire prenant même quelques mesures sociales surprenantes (le droit de gréve, même si il était très très relatif). Il serait donc tentant de réduire les châtiments a un simple exercice de mauvaise foi violente et haineuse d'un mégalomane blessé dans son orgueil par président qui ne lui aurait pas donné le ministère espéré. De fait les détracteurs de Hugo ne sont jamais gêné que ce soit a l'époque ou aujourd'hui pour le décrédibilisé en le réduisant a un ambitieux déçu, un opportuniste aigris. Faire cela c'est faire preuve de la mauvaise foi que l'on reproche a Hugo!

Si l'on se penche sur la vie du personnage on ne peut que remarquer qu'il fut royaliste avant d'être républicain, je suggère d'aller écouter les conférences d'Henri Guillemin qui est un hugolien lucide qui ne cache pas les failles et (gros) défauts du grand homme et qui commente assez objectivement le parcours politique de Hugo. Il en ressort que jusqu'en 1848 Victor Hugo est un bourgeois qui, globalement, est guidé par son ambition personnelle. Il soutiens la monarchie qui le pensionne (son enthousiasme ultra-royaliste de sa jeunesse tient en partie a ses besoins d'argent, on oublie que si il est mort très riche a ses débuts il n'a pas grand chose) et sous Louis Philippe lui permet d'exercer une certaine influence dans la mesure ou il est un proche du gouvernement et de la famille royale. Contrairement a ce que prétende ses détracteur il ne se rallie pas immédiatement a la république après l'abdication de Louis Philippe et essaye dans un premier temps de déclarer la régence, tentative inutile il ne se rallie au nouveau régime que par raison et reste tout d’abord au côté des conservateur preuve qu'il n'abandonne pas si facilement ses convictions. Par ailleurs il faut quelque peu relativiser les variations politique de Victor Hugo, au delà du royalisme et du républicanisme, il y a dans sa pensée des invariables: son rejet de la peine de mort toujours absolu (même pour Napoléon III en dépit de la haine qui s'étale dans Les châtiments) et la réforme de la pénalité d'une manière générale, l'éducation pour tous, la lutte contre la misère, la condition des femmes. Ce sont là des combats qui ont préoccupé Hugo a toutes les époques et l'on peut y ajouter la liberté d'expression lui qui a été victime de la censure sous la restauration et la monarchie de juillet. C'est le royaliste Hugo qui dans son théâtre montre des rois qui se comporte comme des brigands ( Don Carlos dans Hernani) , des rois indolents esclaves d'un ministre tout puissant (Louis XIII dans Marion De Lorme), des tyrans hystériques (Marie Tudor) ou des pervers quasi-sadiens (François I er dans Le roi s'amuse). Les héros ou les héroïnes sont quand a eux toujours des exclus et des figures de résistances face a l'arbitraire du pouvoir établis. Sous la deuxième république si il est tout d’abord un député de la majorité conservatrice et un soutiens très modérés a Louis Napoléon Bonaparte, il ne va pas cessé de prendre ses distances avec une majorité qui vote des lois de plus en plus réactionnaire: loi Falloux qui accorde au clergé catholique une très grande influence sur l'enseignement, loi réduisant le suffrage universel et excluant les plus pauvre qui pourrait voter pour "les rouges". Hugo qui est hué et moqué par son camp lorsqu'il fait son discours sur la misère, s'oppose vigoureusement a toutes ses lois et vote de plus en plus a gauche et finis par siéger a l’extrême gauche de l'assemblée. Hugo n'agit pas ici comme un opportuniste qui veut le pouvoir, bien au contraire il affirme ses conviction personnel et plus il s'engage plus il s’aliène le soutiens du parti dirigeant. Pendant ce temps le président Bonaparte prépare son coup d'état, politicien habile et populiste il n'a pas de mal a joué sur la forte nostalgie du premier empire pour se faire aimer du peuple. Lorsque le coup d'état commence le 2 décembre, Hugo est un opposant actif qui n'hésite pas a prendre la tête des quelques républicains qui combattent dans les rues, avant de prendre le chemin de l'exil quand il constate que le peuple las des révolutions et des émeutes ne va pas se soulever.

Comme je l'ai dit on peut défendre Napoléon III, il n'est pas le monstre dépeint dans Les châtiments et c'est probablement un des meilleurs dirigeants du XIX éme. Pour autant la hargne de Hugo a son encontre, la rage satirique des Châtiments se justifie par le coup d'état, ou Napoléon sans prendre lui même la décision laisse l'armée tiré sur les insurgé, le coup d'état du 2 décembre seras sanglant et suivis d'une vague de répression (adoucit par Napoléon III par la suite) avec de nombreuses déportations, et la proscription de tous les leader républicain pouvant construire une opposition. Le second empire apparait alors comme un régime autoritaire basé sur le sang et totalement illégale: Napoléon III a violé la constitution et le serment qu'il avait prêté en devenant président. C'est cela qui ternit encore aujourd'hui la mémoire de Napoléon III le parjure et la répression sanglante. A partir de là la position de Hugo est cohérente avec les positions qu'il a toujours défendu: le droit et le rejet de la violence. Le coup d'état c'est le péché originel du second empire, le crime initial qui le fonde et d'une certaine manière le condamne malgré tous ses accomplissement. Quoiqu'on dise des excès de l'écrivain, Les châtiments sont un rappel de ce crime et si il doit être contrebalancer par d'autre lecture ce rappel contrebalance en retour toutes les réhabilitation a l'enthousiasme parfois trop délirant de Napoléon III.

Une fois cette longue présentation de l'auteur et du contexte faites, que peut on dire de l’œuvre. C'est du Hugo pur a haute dose concentré. C'est a dire que c'est totalement excessif, mégalomane, grandiose, grandiloquent, sublime, grotesque. Sous sa plume le vers ronfle, hurle et grince, sa verve se déploie sur un large spectre; tragique, pathétique, comique, farce, lyrique, épique ou intime. Tous les registres, tous les genres y passent pour brosser le portrait titanesque et difforme du second empire. Qu'il raconte avec une retenue admirable le chagrin d'une grand mère qui a perdu son petit fils sur les barricades: "Pourquoi l'a t'on tué? je veux qu'on me l'explique./L'enfant n'a pas crié Vive la République" ou qu'il moque avec toute sa verve satyrique Napoléon III: "L'Europe sous la loi guerrière / Se débattit. — / Toi, son singe, marche derrière,/ Petit, petit.", l'inspiration est toujours présente avec une férocité a peu prés inégalé dans les lettre française (excepté peut être par Céline).

On ne peut non plus réduire Les châtiments a une série de poème se répétant les uns les autres, le recueil est organisé en plusieurs partie qui chacune reprennent un thème précis: la société, l'ordre, la famille, la religion, l'autorité, la stabilité. Tous les éléments de la société conservatrice de l'époque et de son idéologie conformiste sont repris pour être détruit par les mâchoires acérés du verbe hugolien. Toute la société bourgeoise de l'époque est passé par les armes de la poésie, rien n'est épargné. Pas même la religion que le poète, très croyant et volontiers mystique, avait jusque là toujours respecté. Et au milieu de ce bouge infâme qu'est devenu la société française aux yeux de Victor Hugo: s’élève le fantôme du titan Napoléon Ier. Contrairement a ce que je peux lire ça et là l'opposition n'est pas si simpliste entre Napoléon Ier et Napoléon III. Ce n'est pas Napoléon III c'est nul et Napoléon I er c'était quand même mieux. Pour Hugo Napoléon Ier fut le grand homme du siècle (on ne peut lui donner tort) l'aventure formidable de la grande armée suscite la fascination de tous les romantique. Mais Napoléon Ier n'en est pas moins un criminel lui aussi, le 18 Brumaire pèse sur sa postérité, sa chute voulu par Dieu n'était pas le châtiment ultime, ce châtiment ce devait être le second empire et le règne de Napoléon III. Si le premier empire fut une épopée et une tragédie, le second n'est qu'une sinistre farce, et Hugo peut conclure ce qui est sans doute la pièce centrale des châtiment: L'expiation par la vision de l'empereur dans son tombeau terrorisé par le terrible carnaval décadent conduit par son neveu, car Napoléon III n'est au fond que la conséquence des crimes de Napoléon Ier "Commencer par Homère et finir par Callot ! / Épopée ! épopée ! oh ! quel dernier chapitre ! / Entre Troplong paillasse et Chaix-d’Est-Ange pitre, / Devant cette baraque, abject et vil bazar / Où Mandrin mal lavé se déguise en César, / Riant, l’affreux bandit, dans sa moustache épaisse, / Toi, spectre impérial, tu bats la grosse caisse !"

Les châtiments c'est l'un des grand sommets de la poésie française, œuvre politique, œuvre de combat d'une efficacité redoutable écrite dans l'espoir de tuer symboliquement ses adversaires. Dans tous les cas elle marque un engagement sincére de son auteur pour la liberté et la souveraineté du peuple. C'est aussi une œuvre d'art un sommet de verve comique, la caricature dans sa plus pur et sa plus féroce expression, élevée au rang de l'épopée. Les châtiments c'est Juvénal qui rencontre Homère.
Dracula
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le 23 sept. 2014

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