Pas évident de rentrer dans ce livre. Le premier chapitre est une longue description, sans préambule, d’un appartement fantasmé. Et franchement, ça m’a inquiété pour la suite. J’avais du mal à visualiser : l’agencement des objets, les couleurs, les pièces… tout semblait flou. Mais j’avais tort. La suite, bien que centrée sur les objets et les biens, prend une autre tournure. Chaque passage est différent, et je dirais à ceux que cette introduction rebute : persévérez.
On n’est pas dans un roman traditionnel. Pas d’histoire, pas de scénario. Les personnages sont là, mais presque comme des prétextes. Ce que Perec vise, c’est un portrait au vitriol d’une certaine classe sociale : la petite bourgeoisie, celle qui entre dans l’âge adulte pendant les Trente Glorieuses, avec l’envie de s’émanciper des générations précédentes.
Ils vivent les prémices de la société de consommation à grande échelle, et ils sont incapables de résister à ses sirènes. Ils croient aux promesses de bonheur par l’objet, alors qu’ils travaillent eux-mêmes dans le marketing. C’est l’ironie parfaite : vendre ce qui les enferme.
Ils baignent dans cette ingratitude moderne, celle qui fait croire que ce qui nous manque nous rendra heureux. Ils sacralisent l’éphémère, l’apparence, les biens de consommation. Incapables de se projeter, de penser long terme, d’agir vraiment.
Et quand enfin ils agissent, quand ils partent en Tunisie pour briser le cercle, c’est la nostalgie qui les rattrape. On est ici, on aimerait être ailleurs. Éternellement insatisfaits.
Ils veulent obtenir sans s’engager, mais finissent par s’engager, résignés, pour obtenir ce qu’ils croient vouloir. Et même là, ce n’est pas suffisant. Il y a toujours mieux.
Pendant ma lecture, je lisais en parallèle Propos sur le bonheur d’Alain. Et en passant de l’un à l’autre, je me suis dit que Les Choses était le guide de l’anti-bonheur. Tout ce qu’Alain déconseillerait pour atteindre la paix intérieure, Perec le met en scène avec une précision chirurgicale.
C’est une radiographie du désir moderne, et ce qui est frappant, c’est que ce désir est toujours là, aujourd’hui. Il a changé de forme, de médium, mais le fond est intact. Nous n’avons plus l’excuse d’être les premiers. Nous avons le recul, les outils, les mises en garde. Et pourtant, on continue.