A propos de courage est un objet littéraire qu'il est bien difficile de classer tant il est riche.
Aux Etats-Unis, il est enseigné dans les lycées, les universités, comme un ouvrage de référence sur l'un des plus grands traumatismes du pays: la guerre du Vietnam.
Le New York Times en a même fait l'un des 100 meilleurs livres du XXème siècle, et assurément, c'est un grand livre.



Raconter l'indicible



A propos de courage raconte des histoires de guerre, mais ce n'est pas un récit de guerre.
Ce n'est pas totalement un roman non plus. Peut-être alors de non fiction.


En réalité, A propos de courage s'apparente presque plus à un essai dans lequel l'auteur s'interroge sur la possibilité même de raconter la vérité de la guerre, et celle, pour ceux qui écoutent cette histoire, de l'entendre.


Selon O'Brien un récit de guerre n'est jamais totalement vrai, comme il n'est jamais totalement faux.



Tout est question d'instinct viscéral. Une histoire de guerre véridique, si elle est bien racontée, doit vous faire croire avec les tripes.



En invoquant ses propres souvenirs, tels qu'il les perçoit, et ceux de ses camarades de front, O'Brien démontre que les faits seuls ne sont pas la Vérité de ce que les soldats ont vécu.


Dans une histoire de guerre rien n'est réalité, mais tout existe, parce que tout a été ressenti comme la réalité.


La Vérité d'un récit de guerre est au delà des faits.


Surtout, un récit de guerre n'est jamais, jamais ce que ceux qui l'écoutent ont envie d'entendre.



Une histoire de guerre véridique n'est jamais morale. Elle n'est pas instructive, elle n'encourage pas la vertu, elle ne suggère pas de comportement humaniste idéal, elle n'empêche pas les hommes de continuer à faire ce qu'ils ont toujours fait.



Le récit éclaire admirablement la situation des vétérans du Vietnam, et pourquoi ils continent d'obséder les américains.



Courage et déshonneur



O'Brien, enchaîne les souvenirs, les anecdotes: l’histoire de ce camarade indien qui se coltinait toujours sa hachette et la bible de son père, un autre qui portait la photo d'une petite amie qui ne l'aimait plus, celui-ci qui portait les collants de son amoureuse autour du cou comme un talisman...


Puis celui qui est mort d'une balle dans la tête en remontant sa braguette, cet autre qui jouait comme un enfant quand son corps a explosé sous l'effet d'une mine ennemie, celui dont la petite amie l'a rejoint et s'est faite engloutir par la guerre, celui enfin, qui s'est noyé dans un champs de déjections...


O'Brien raconte les détresses, mais également les joies, les rires et les violences de ces garçons que rien n'aurait dû conduire à la guerre.


Et sûrement pas le courage.


O'Brien raconte comment, désespéré, mobilisé à peine âgé de 19 ans, il a tenté de fuir pour le Canada, et comment après quelques jours d'une angoisse folle, il n'a pu y parvenir.


J'ai été lâche dit-il, je suis parti faire la guerre...



Ces hommes tuaient et mouraient parce qu'ils auraient été gênés de ne pas le faire. C'est ce qui les a conduits en premier lieu à la guerre, rien de positif, pas de rêve de gloire ou d'honneur, seulement éviter la honte du déshonneur.



Ces garçons, contraints de devenir des hommes pour ne pas subir le regard de ceux qui sont restés à la maison.


Ces garçons qu'on a poussé dans des champs de merde pour rien et qui, à leur retour, au lieu de fierté et d'encouragements, n'ont trouvé que des rubans au revers de leur veste et les regards fuyants des gens qui ne voulaient pas comprendre, qui leur demandaient d'être raisonnables, d'oublier.


Oublier.


Mais la raison, ils l'avaient déjà perdue, comment pourraient-ils oublier? Comment leur demander d'oublier?


Une histoire de guerre n'est véridique que lorsqu'elle ne se termine jamais, dans un monde qui voudrait qu'elle n'ait jamais existé.


La vérité est au delà de ce qui peut être dit, et ce n'est qu'en ayant admis qu'on ne peut pas savoir sans l'avoir vécue, que l'on peut comprendre la guerre, et commencer à écouter ce qui est pourtant toujours exprimé par ceux qui sont revenus des enfers.



A la fin, bien sûr, une histoire de guerre véridique ne parle même plus de la guerre. Elle parle du soleil. Elle parle de la manière dont l'aurore colore le fleuve quand vous savez que vous devez le traverser et marcher vers les montagnes et faire des choses que vous avez peur de faire. Elle parle de l'amour et du souvenir. Elle parle du chagrin. Elle parle des sœurs des copains qui ne répondent jamais quand on leur écrit et des gens qui n'écoutent jamais.


Créée

le 27 nov. 2017

Critique lue 297 fois

1 j'aime

Chatlala

Écrit par

Critique lue 297 fois

1

D'autres avis sur Les Choses qu'ils emportaient

Les Choses qu'ils emportaient
Chatlala
8

C'était pas leur guerre...

A propos de courage est un objet littéraire qu'il est bien difficile de classer tant il est riche. Aux Etats-Unis, il est enseigné dans les lycées, les universités, comme un ouvrage de référence sur...

le 27 nov. 2017

1 j'aime

Les Choses qu'ils emportaient
Kek
9

Critique de Les Choses qu'ils emportaient par Kek

Un livre personnel sur la guerre de Tim O'Brien, le Vietnam. Pas de compte-rendu exhaustif, pas d'explication appuyée du matériel, pas de chevauchée des walkyries. Juste un ami qui disparait dans la...

Par

le 22 déc. 2012

1 j'aime

Du même critique

Vernon Subutex, tome 3
Chatlala
8

Vernon Subutex: le témoin de son temps.

Alors ça y est, c'est fini. Vernon livre son dernier souffle, pourtant pas son dernier mot... Décidément, Virginie Despentes est extraordinaire, d'un humanisme débordant à une époque qui en manque...

le 27 sept. 2017

18 j'aime

1

L'Empreinte
Chatlala
7

De profundis

Je ne pense pas avoir jamais ressenti autant de soulagement à refermer un livre. Sérieusement, il FALLAIT que ça s'arrête... Je ne suis pas particulièrement sensible, enfin, disons pas...

le 6 mars 2019

15 j'aime

1

Né d'aucune femme
Chatlala
10

Printemps vénéneux

Je l'attendais fébrilement, avec un mélange d'impatience et de tristesse, parce que voilà, ça y est, après Grossir le ciel, Plateau et Glaise, Franck Bouysse clôture son cycle des quatre saisons en...

le 4 févr. 2019

15 j'aime