Romain Gary, encore un qui n’était pas mon copain. Pourquoi ? Insincère, paresseux, arrogant. Non vraiment, sa tête ne me revenait pas. Ce n’était pas qu’il manquât de talent – loin s’en faut – mais de grâce dans la façon, justement qu’il avait de distiller son talent. Il en envoyait sur nos tronches de grandes poignées, de son talent à n’en savoir que faire, de ses paillettes multicolores, fascinantes, rouges et bleues, dorées. Je comprenais qu’on l’aime, Romain Gary – moi je ne l’aimais pas. Au-delà de cette limite… D’accord, d’accord – mais moi je refusais d’embarquer.


Cependant voilà que des Clowns lyriques me tombent dans les mains. Bon. Je me plonge dans ce récit. J’admire la prose – impossible de faire autrement. Le sens de la formule qui fait mouche. Le pathos distillé avec art. Tout ça, d’accord.


Mais est-ce qu’on n’en a pas marre, je vous le demande, de cette éternelle histoire ? L’éternelle histoire de l’homme et de la femme ? Du mâle viril et de sa douce femelle ? Sérieusement ? Qui a encore envie de monter dans ce manège-là, de faire un énième tour ? Est-ce que ce n’est pas tout vu ?


Les clowns lyriques, ce sont donc tous ces hommes qui fraternisent dans l’alcool et la misogynie, qui souffrent affreusement parce que les femmes ne sont pas à la hauteur de l’idéal qu’ils ont eux, dans le cœur. Ces hommes qui souffrent, ces hommes qui boivent pour ne pas pleurer, qui se taisent, on est censé les trouver romantiques. Douteusement virils, ils s’échangent à longueur de page des répliques de cinéma, cinglantes et vides. Univers d’une tristesse infinie, d’un glauque consomme que rien, jamais, ne vient jamais enchanter – ou même simplement bousculer.


Rien ne nous oblige à vivre dans ce monde-là, à tout faire pour le reproduire encore et toujours à l’identique – malgré les efforts de l’auteur en ce sens. Pour lui, ce livre a sans doute valeur de prophétie auto-réalisatrice : une énième histoire d’amour qui finit mal et qui prouve, pour la énième fois, sil en était encore besoin, que les histoires d’amour, par définition, finissent mal. Pour faire cette démonstration, Romain Gary déploie un art romanesque proche de la perfection, une virtuosité qui bien sûr – bien sûr – lui fait honneur. Peu importe. Pas de ce petit jeu-là avec moi. On n’est pas obligé de souscrire à cette vaste arnaque. On peut aussi rire de cette éternelle histoire qui finit mal. Non pas rire comme un clown lyrique, noyé dans sa propre ironie, portant son chagrin en étendard, mais plutôt d’un simple rire bref, un rien cassant, qui dit que non, que ça suffit, maintenant.

Peter_Saras
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le 18 janv. 2021

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