S’inspirant librement de l’histoire d’Eric Moussambani, l’Equato-guinéen qui s’illustra aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000 par son record de lenteur au cent mètres nage libre – n’ayant appris à nager que quelques mois auparavant, dans la petite piscine d’un hôtel, il n’avait encore jamais parcouru cent mètres d’affilée dans un bassin et manqua se noyer lors de la compétition –, Mahamat-Saleh Haroun réalise l’attendrissant portrait d’un héros malgré lui, sur le fond goguenard d’une farce satirique pointant l’incurie cachée sous l’autorité martiale de certains Etats africains.


Dans un pays d’Afrique jamais nommé, où, sous la tyrannie d’un pouvoir corrompu, ne s’avère guère florissante que la plus extrême pauvreté, Bourma Kabo se refuse à devenir l’un de ces « culs-reptiles », ces hommes déclassés et apathiques, qui, tandis qu’autour d’eux rien ne fonctionne - le chômage est endémique, les conditions de vie vont de mal en pis, et toute protestation se voit matée dans la violence -, passent leur vie à palabrer vainement, sans plus bouger de leurs nattes posées à même les rues de leur misérable quartier. Alors, chassé de chez lui par un énième épisode répressif, le jeune homme se résout à partir tenter sa chance à la capitale. D’abord bredouille dans sa chasse à l’emploi, il répond à l’annonce du ministère des Sports qui, depuis qu’un conseiller a convaincu le Président que « Généralement, les Africains sont connus pour participer aux courses à pied. Mais en natation, personne ne s’attend à voir un Africain. Nous créerons une énorme surprise en allant glaner une médaille aux J.O. », cherche à recruter des nageurs.


Peu importe qu’il ne sache pas nager, Bourma est le seul candidat et il n’est pas question de décevoir le rêve de gloire du Président qui, maintenant persuadé des « mérites de la natation, la discipline idéale pour faire connaître le pays et drainer les touristes », « veut absolument voir le drapeau du pays flotter quelque part sur la scène internationale ». Les autorités ayant pris sa fiancée Ziréga en otage pour mieux renforcer sa motivation, Bourma se lance d’arrache-pied dans ses quatre mois d’entraînement, ne négligeant aucun recours – ni prières, ni gris-gris – pour tenter de compenser ses doutes et son amateurisme.


Evidemment, aussi flatteuse la biographie que lui invente l’attaché de presse du ministère et aussi sincères ses efforts à remplir sa mission patriotique, la surprise que l’apprenti champion va bel et bien provoquer à Sydney ne sera pas de celle qu’attendait son pays. Pris en pitié et ovationné par le public du monde entier pour la noblesse toute olympique de ses efforts, il rentrera au pays conspué par ses compatriotes, et, dépité, finira tout compte fait par rejoindre les rangs des « culs-reptiles », réduit à refaire indéfiniment le monde avec eux, à longueur de phrases et de rêves contenus.


D’ailleurs, alors qu’il s’en console en songeant que, peut-être, c’est toujours ainsi que commencent à germer les révolutions, n’est-ce pas un peu aussi ce que fait Mahamet-Saleh Haroun, avec les mots aussi désabusés qu'ironiques de cette savoureuse satire ?


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le 30 janv. 2023

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