Contrairement à Becky Chambers, Le Guin est incapable d'imaginer des sociétés non humaines. Cependant, là où c'est dommage dans les autres romans du cycle de l'Ekumen, dans ce livre en particulier, il y a un intérêt puisqu'on y confronte deux visions de la sociétés bien terriennes à savoir le propriétarisme qu'on connait depuis le début de l'époque contemporaine et l'anarchisme qui s'est créé en réaction au développement de ce premier au 19ème siècle.

Et ça, c'est excellent car même si c'était un courant de pensé majeur, l'anarchisme a peu influencé les mondes de l'imaginaire. En effet, c'est au moment de son déclin que commence l'âge d'or de la SF. Or, l'anarchisme est une mine d'or lyrique en sa qualité de modèle maximisant l'égalité et surtout la liberté, qu'il soit utopique ou non, pertinent ou non.

Malgré une position assumée, Le Guin ne tombe pas non plus dans le travers d'un manichéisme politique. Tout n'est pas rose sur Anarres. Malgré une terre riche en minerai, les disciples d'Odo ont échoués à rendre la lune plus habitable après 160 années d'exil et sont encore dépendants de l'arrivé de technologies de pointe d'Urras et de la météo. Le régime politique en lui même est instable et tend, faute de vigilance, à glisser vers un retour de la hiérarchie.


Malheureusement, la super confrontation de deux modèles de société tarde à venir, remplacée par un Shevek à qui on ne s'attache qu'à la fin du livre qui baratine de la physique dont on se fout un peu, tout du moins au début. Le début est long mais on reste grâce au style efficace et parfois franchement beau de Le Guin qui n'en est pas à son premier roman, et ça se sent.


Dans la deuxième moitié du roman, à peu près au moment où Shevek rencontre les populations pauvres d'Urras, on entre dans une autre dimension littéraire. Le Shevek distant devient un père, un amant floué par un hiérarchiste médiocre au coeur d'une lutte des classes sanglante. Il passe d'un Emmanuel Valls sous sédatif à une Emma Goldman sous stéroïde. Son charabia commence à faire sens, notamment avec la vieille civilisation des Hains, en même temps c'est facile quand le charabia en question, c'est en gros la cyclicité du temps (après j'ai probablement pas tout saisi).


La détresse du savant est de l'humaniste dans un univers conflictuel est aussi brillamment abordée et rappel les regrets d'Oppenheimer qui d'ailleurs a du renoncer à ses convictions communistes pour le projet Manhattan.

- Ne comprenez vous donc pas que je veux vous donner ceci - à vous, à Hain, aux autres mondes, ainsi qu'aux nations d'Urras ? A vous tous ! De sorte qu'aucun de vous ne puisse l'utiliser, tel que l'espèce l'A-Io, pour obtenir un pouvoir sur les autres, pour devenir encore plus riche et gagner encore plus de guerres. De sorte que vous ne puissiez vous servir de la vérité pour votre propre profit, mais seulement pour le bien commun.

Bref, cette deuxième partie du livre est magnifique et mérite de s'attacher un pendant la grosse introduction.

Laegion
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le 4 mars 2025

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