Lorsqu’un thriller reçoit le Prix du roman de la gendarmerie nationale, on imagine bien que son héros n’est pas une version française de Harry Hole, un ex punk rocker alcoolique et toujours proche lui-même de chuter dans l’illégalité ! La lecture des Entrailles de la nuit, de Marco Pianelli nous conforte dans nos préjugés, nous rassure peut-être aussi quant à la pérennité des institutions françaises : le major Victor Tchaïev, même s’il est à moitié Rom, ne plaisante pas avec les procédures, la discipline, et ne sourit que quand il se brûle au troisième degré. Résultat : malgré nous, on a bien du mal à l’aimer, ce cador de la gendarmerie, que l’on perçoit comme un c… inflexible, déplaisant, voire littéralement inhumain… Ce qui serait un problème si on ne réalisait pas que, finalement, il y a là une certaine originalité – non dénuée d’audace – de la part d’un auteur qui ne va pas caresser le lecteur de polars dans le sens du poil…

Notre militaire en pleine rétention anale enquête donc sur la disparition d’une petite fille, dont les parents sont amis d’un ministre, ce qui leur garantit que toutes les ressources de la gendarmerie française – et ensuite, de la police – soient activées de toute urgence. Mais malgré la diligence et le professionnalisme des enquêteurs, on ne trouve aucune trace de la disparue durant les 24 premières heures, qui sont, tous les lecteurs de thrillers le savent, critiques. C’est que c’est à autre chose qu’un banal enlèvement qu’on a affaire…

Marco Pianelli est un auteur relativement « nouveau », qui n’a à son actif – à notre connaissance – que trois livres avant ces Entrailles de la nuit, avec d’autres « héros » que Victor Tchaïev. Mais il a recours ici à un subterfuge malin, qui est de donner au lecteur le sentiment d’arriver en plein milieu d’une saga qui aurait vu Tchaïev résoudre déjà plusieurs cas difficiles – appréhendant des serial killers… Cette impression d’être brutalement parachuté au milieu de personnages que nous ne connaissons pas, mais qu’il nous semble que nous devrions connaître (voir par exemple la relation entre Tchaïev, et son soutien digital, l’adjudant Ripert…) donne au démarrage du livre un charme indéniable.

C’est également le réalisme de la description des procédures d’enquête qui séduit : Les entrailles de la nuit est clairement un livre « sérieux », où on ne racontera pas n’importe quoi pour accrocher le lecteur. Ce qui ne veut pas dire ennuyeux, car la mécanique enclenchée par le criminel est assez originale pour que nous nous passionnions pour le duel entre Tchaïev et son mystérieux adversaire. Le seul problème, néanmoins, est qu’il sera assez facile à un lecteur expérimenté de deviner assez tôt qui est cet adversaire, nous frustrant devant ce qui est une sorte de facilité inattendue dans le genre. Heureusement, Pianelli nous offre une confrontation finale entre les deux adversaires, verbale plutôt que physique, qui ménage une conclusion inhabituelle au livre, assez loin des happy ends assez systématiques dans les polars.

Bref, malgré quelques réserves, on suivra désormais la carrière de Marco Pianelli, qui deviendra peut-être une voix originale du polar français.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/04/12/les-entrailles-de-la-nuit-de-marco-pianelli-un-cador-de-la-gendarmerie/

EricDebarnot
6
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le 12 avr. 2024

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Eric BBYoda

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