Ce recueil Les Filles de l’écume, parfois évoqué sur internet sous le titre les Filles de la mer, et en tout cas sous-titré « Histoires de sirènes », porte exclusivement sur les sirènes « nordiques », les mermaids, celles à nageoires, qui inspirèrent aux préraphaélites de jolis tableaux et à Guillaume Rondelet d’étranges observations. Rien, donc, sur les sirènes ailées, celles du chant XII de l’Odyssée.

Cinq auteurs, un traducteur du danois, une directrice de collection qui a aussi choisi et rassemblé les textes et une « concept[rice] graphique » : respectivement Hans Christian Andersen, Renée Vivien, Paul Arène, Marcelle Tinayre, Guy de Maupassant, David Soldi, Julie Maillard et une personne dont je tairai le nom par charité, parce que clairement, une couverture comme celle-ci, à plus forte raison dans une collection qui porte le mot « classique » dans son nom, c’est au-delà de mes forces. (J’ignore si un patou a contribué à « rassembl[er] » les histoires ; j’ignore d’ailleurs comment on fait pour rassembler des textes.)


Cent vingt-huit pages, des textes libres de droits, un appareil critique limité à trois lignes de biographie par auteur – et, donc, cette couverture atroce : cela vaut-il douze euros et quatre-vingt-dix centimes ? Je me refuse toujours à appliquer la notion de qualité / prix à un livre, mais on ne peut pas dire que cette anthologie-là soit généreuse.

Et puis… s’agit-il vraiment d’une anthologie ? Certes, il n’est jamais mauvais de lire ou de relire « La Petite Sirène » – ce n’est peut-être pas le meilleur conte d’Andersen, mais c’est de loin le texte le plus riche de ces Filles de l’écume. Pour le reste, « Le Chant des Sirènes » est loin d’être la meilleure nouvelle de Renée Vivien, « Les Sirènes » de Paul Arène peinent à présenter autre chose qu’un peu d’humour et qu’une triple couche de narration – le narrateur recopie une note manuscrite trouvée en marge d’un livre et qui elle-même cite un témoignage –, « La Sirène de Kerden » (Tinayre) montre qu’il est difficile de faire durer une histoire à la façon de Barbey d’Aurevilly quand on n’est pas Barbey d’Aurevilly, et « L’Épave » est clairement un Maupassant mineur – où il est d’ailleurs à peine question de sirènes.

Sur cette figure de la sirène, qui à mon sens outrepasse le statut de simple femme fatale auquel on l’assimile parfois, il y avait sans aucun doute à écrire – et donc à trouver – des récits beaucoup plus riches que ceux-là, et qui auraient rendu justice à toute l’ambiguïté des femmes à queue de poisson. Andersen avait fait tout le boulot, qui la soulignait en deux phrases (p. 15) : « Elles avaient des voix enchanteresses comme nulle créature humaine, et, si par hasard quelque orage leur faisait croire qu’un navire allait sombrer, elles nageaient devant lui et entonnaient des chants magnifiques sur la beauté du fond de la mer, invitant les marins à leur rendre visite. Mais ceux-ci ne pouvaient comprendre les paroles des sirènes, et ils ne virent jamais les magnificences qu’elles célébraient ».

Alcofribas
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le 29 juil. 2023

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