Il est bon, parfois, de penser le cinéma en termes de genre. Et la SF, par la multiplicité des thèmes et des manières possibles de les aborder, à quelque chose de déroutant, de protéiforme. Pour s'y repérer, il est bon d'avoir une carte.

Ce livre est à mi-chemin entre la carte et le récit personnel de voyage. Il offre une solide introduction à la SF au cinéma, avec une filmographie par année que je n'ai pas réussi à prendre en défaut à la fin de chaque chapitre chronologique. Je vais surtout développer ces chapitres du début.

L'auteur commence par plusieurs chapitres qui tentent de cerner le concept de science-fiction, puis procède par chapitres chronologiques. L'auteur laisse de côté les séries et les téléfilms, pour des raisons de volume.

Le premier chapitre, "Genèse et portrait d'un genre", a la bonne idée de partir des sources d'inspiration de la SF : les inventions du XIXe et leurs perspectives, et de rappeler les deux pères fondateurs : Verne, plus scientiste, et Wells, plus moral et fantaisiste. L'idée intéressante que les questions abordées par les films vont dépendre de notre culture matérielle ne quitte pas l'auteur, et c'est intéressant de remarquer qu'avec l'apparition des téléphones portables, l'imagerie fantaisiste recule.

Le deuxième chapitre tente de distinguer la SF du fantastique ou du merveilleux, mais garde cependant une définition assez large : tout film où la science joue un rôle quelconque d'anticipation, en y incluant aussi les films de monstre. Choix assumé par l'auteur : on peut critiquer cette approche bienveillante qui ne s'embarrasse pas de conceptualisation rigoureuse, mais cela n'empêche pas que ce livre a été longuement pensé, ça se sent.

Le troisième chapitre pose une donnée importante : la SF a souvent été considérée comme infantile à cause de son imagerie au départ foisonnante : vaisseaux colorés, déguisements, sons, etc... Et Chion analyse certains de ces éléments (l'apesanteur, le sol d'une autre planète, la femme dans les bras d'un monstre, le robot, la mode du futur, les portes automatiques, les écrans verticaux, les ruines de demain, les bibliothèques abandonnées et les robots mémorialistes, l'hologramme...). Inventaire non-exclusif, bien sûr (on pourrait parler des salles de pilotage, etc..), qui s'explique par les nécessités du format éditorial. Mais aussi les sons, le jargon SF, etc.. Et Chion développe une idée intéressante : le fait que le cinéma de SF, notamment la série B, part souvent d'un contrat implicite avec le spectateur : ce dernier est conscient qu'il a affaire à un décor de plateau, à des maquettes, etc... mais va choisir d'y adhérer.
Il y a de belles analyses sur le fait que "2001" adhère à l'imagerie visuelle, mais pas au jargon : le vocabulaire employé est identique au nôtre (Bowman demande à passer un "coup de fil" vers la Terre). Au contraire, "Alphaville" montre des décors quotidiens mais surexploite le langage de type SF, en misant sur l'adhésion du spectateur.

Viennent ensuite les chapitres chronologiques, dont voici les têtes de chapitres :
- Naissance du genre (1900-1950)
- A l'ombre du champignon : films fondateurs des années 50
- La scission (années 60)
- Leffet 2001 (60-70)
- Un âge d'or ambigu (Fin 70-80)
- La brute, la feme et l'ado (années 80)
- Images de synthèse et mondes virtuels (années 90)
- Pop-corn movies et nouveau sérieux (années 2000).

Impossible bien sûr de traiter de manière exhaustive du genre : Chion opère des choix en sélectionnant les films qui lui semblent les plus caractéristiques de l'époque. Une filmographie par année, à la fin de chaque chapitre, offre la plupart du temps des synopsis et parfois des critiques de taille fort variable.

Il y a beaucoup de choses intéressantes dans cette partie, qui se lit bien, et ne tombe que rarement dans l'écueil d'une série de critiques mises bout à bout.

Il y a le rôle de la surfemme castratrice dans les premiers films de SF. J'apprécie au passage que Chion ose apporter des réserves par rapport à "Metropolis" de Lang, film qu'on a trop porté au pinacle en dépit de ses défauts formels évidents en terme de montage, voire de contenu. J'ai appris des choses sur le goût, dans les années 30-40, pour les films de voyage intersidéral, où des gars font les touristes en fusée.

Chion décrit de manière intéressante la fascination exercée par l'arme atomique et son influence énorme dans la SF des années 50, qui s'accompagne d'une revirilisation des figures masculines. Puis il montre de manière convaincante une scission, dans les années 60, entre d'un côté une SF fantaisiste de divertissement et de l'autre une SF âpre, adulte, traitant de l'oppression, de la hantise d'une mort de la civilisation, etc... Avec de belles incursions dans la SF d'exploitation italienne et anglaise (et un goût moins prononcé pour Godard ou Antonioni).

Cet ouvrage m'a aussi aidé à comprendre l'influence qu'a pu avoir "2001", film que son horrible lenteur m'a toujours empêché d'aimer. Je ne comprenais pas à quoi on disait qu'il s'agissait d'une révolution, et maintenant je comprends un peu mieux. D'abord Chion minimise un peu cet aspect révolutionnaire en montrant que "2001" s'inscrit dans ce qu'il appelle le "cinéma ritualisé", dont on peut trouver la source dans "Le voyage fantastique" de Fleischer. En gros c'est le fait que les opérations du type "fermez les écoutilles. Réacteur en position ? Paré" développent un lyrisme propre. "2001", dans ses thèmes a eu peu de descendants ("Les naufragés de l'espace" et "Le mystère Andromède"), mais inaugure une SF "implicite", qui ne s'embarrasse pas d'exposition comme c'était le cas avant, et dont "THX138" serait un exemple. D'autre part, la lenteur contemplative de "2001" et son jeu sur des changements d'échelle qui dépassent notre entendement (en terme d'espace, mais aussi de temps) aurait développé un nouveau sens de l'esthétique et une nouvelle manière d'envisager l'humain dans le cosmos ("Phase IV" de Saul Bass). Idée intéressante, mais peut-être un peu réductrice, "Solaris" serait un anti-2001 en montrant la douleur que représente l'arrachement à la Terre, qui continue de hanter les personnages. L'ambition du message de 2001 aurait aussi rejailli sur des films comme "Zardoz", "Soleil vert" (à propos duquel je suis bien plus indulgent) ou "L'âge de cristal".

Les derniers chapitres m'ont moins intéressés dans la mesure où ils traitent de ce que je connais mieux : la SF actuelle. L'auteur souligne l'ambiguïté de la SF des années 80 : "Star Wars" se révèle plus de la fantasy que de la SF (pas d'exploration spatiale), sa seule nouveauté réside dans le dynamisme des combats spatiaux. De même, dans des monuments comme "Alien", "Blade Runner", "Predator", "La mouche", l'esprit scientifique et l'humanisme cède face à des aventures individuelles.
La suite des années 80-90 est marquée par le personnage de l'ado ("Starfighter"), ou celui de la brute (Schwartzie) ; la femme est une femme-forte asexuée (Ripley, Sarah Connor). Ces héros n'ont pas vraiment de sexualité, de famille, ils sont neutres. Enfin, l'arrivée du numérique entraîne une perte dans le contrat avec le spectateur. Bonne remarque, comme quoi les robots en image de synthèse des nouveaux SW ou de "I, Robot" ont volontairement une taille étroite pour bien montrer qu'il ne peut pas y avoir d'acteur qui joue dedans. Développement de la SF en complet-veston de type Gattaca. L'imagerie visuelle n'a cessé de s'appauvrir : costumes sobres, et même le gigantisme des immeubles ou le foisonnement des gadgets se ralentissent, parce qu'ils nous rappellent trop notre propre monde. Je suis d'accord, sauf pour les gadgets numériques, qu'on trouve encore beaucoup trop à mon goût.

C'est un de ces ouvrages qui sans prétendre avoir épuisé un sujet, ouvre des pistes. Le style est clair, les analyses souvent intéressantes et pertinentes, et les démonstrations souvent convaincantes. Je recommande.
zardoz6704
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le 27 août 2013

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